Les zones d’ombre du dictateur libyen

Le 6 mars 2011

Pétrole, terrorisme, armement: les chancelleries occidentales avaient toutes les raisons de ménager le dictateur libyen. Analyses et explications.

La semaine passée, la député européenne Eva Joly a vilipendé les relations des capitales occidentales avec le colonel Kadhafi. Stigmatisant leur « lâcheté » et appelant à une plus grande transparence. Ainsi, à la faveur de ce printemps arabe, plus que jamais, les diplomaties américaines et européennes sont suspectées d’avoir par cynisme permis aux dictatures d’Afrique du Nord de s’inscrire dans la durée. Et d’avoir dissimulé ces arrangements à leur opinion publique. C’est notamment le cas pour les échanges entretenus avec Mouammar Kadhafi, comme le montrent  les éléments rassemblés par OWNI.fr.

Terrorisme

Le bal des hypocrites s’ouvre avec les années 2000. Le 13 septembre 2003, l’ONU lève ses sanctions contre la Libye, et le 11 octobre 2004, l’Union européenne autorise à nouveau les ventes d’armes vers Tripoli. Offrant quelques opportunités aux industriels français de la Défense. Avant ces décisions, un embargo isolait le pays depuis plus de dix ans. En cause : l’implication d’agents des services de sécurité libyens dans la préparation de l’attentat de Lockerbie (décembre 1988) et dans celui du DC-10 d’UTA (septembre 1989).

Deux contre-enquêtes fouillées contestent alors la responsabilité des dirigeants de Tripoli dans ces affaires : un documentaire du réalisateur britannique Allen Francovich, et un livre du journaliste français Pierre Péan. Mais en 2003, le gouvernement libyen reconnaît sa responsabilité dans ces deux crimes et accepte de dédommager les familles des victimes. Kadhafi redevient vite un interlocuteur fréquentable.

Pourtant, les relations du régime libyen avec le terrorisme international se révèlent paradoxales. Peu après le 11 septembre, les enquêtes sur les réseaux d’Al-Qaida mettent à jour le premier mandat d’arrêt d’Interpol visant Oussama ben Laden. Surprise : il émane de Tripoli et il remonte au 16 mars 1998. Le document montre que les autorités judiciaires libyennes ont été les premières à émettre un mandat d’arrêt en bonne et due forme pour interpeller le chef d’Al-Qaida. À cette période, elles l’accusent d’être à l’origine d’un double assassinat perpétré dans la ville libyenne de Surt, quatre ans plus tôt, en 1994, contre deux fonctionnaires allemands.

Si Tripoli a bien soutenu des mouvements terroristes jusque dans les années 90 (groupuscules palestiniens radicaux, Armée républicaine irlandaise – IRA…), ce n’était surtout pas le cas des ancêtres d’Al-Qaida. Sujet bien connu dans les chancelleries occidentales, et à propos duquel les Libyens pourraient donc détenir des détails inédits. Dans les mois qui ont suivi le 11 septembre 2001, d’anciens fonctionnaires britanniques des affaires étrangères confiaient, sous couvert d’anonymat, que ces informations faciliteraient les tractations anglo-libyennes à venir.

Pétrole

Les anciennes relations entre l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et les services de sécurités libyens passent en pertes et profits. Alors qu’elles sont avérées et que de nombreuses procédures judiciaires ont démontré l’existence de camps d’entraînement de l’IRA en Libye. Tandis que d’autres enquêtes ont montré que le Semtex (un explosif), employé dans plusieurs attentats de l’IRA, provenait de fournisseurs libyens. Cependant, après la fin de l’embargo décrété en 2003, le temps est au business. Chaque partie souhaite refermer les dossiers terroristes. Quelques années plus tard, en 2009, le Premier ministre britannique Gordon Brown s’obstinera même à refuser tout débat avec les familles des victimes de l’IRA.

Dans une série de courriers publiés par le Sunday Times en septembre 2009, il indique que la controverse sur le soutien de la Libye à l’IRA pourrait faire perdre au groupe BP l’exploitation de plusieurs gisements pétroliers. Quelques jours plus tard, les parlementaires britanniques décortiquent ces relations avec la Libye, mettant en évidence les déplacements à Londres du patron de la National Oil Company (NOC), la compagnie pétrolière libyenne. Tandis que plusieurs éléments matériels recueillis par des parlementaires américains montrent, qu’un peu plus tard, la Grande Bretagne a libéré le principal accusé libyen pour l’attentat de Lockerbie afin de favoriser l’implantation de BP en Libye.

Aux États-Unis, côté pouvoir exécutif, Tripoli devient aussi une destination commerciale. Début 2004, dans un discours à l’Université de Georgetown, le directeur de la CIA, George Tenet, justifie la fin de l’embargo au motif que ses services ont vérifié le sérieux des engagements libyens à renoncer à des programmes d’armes de destruction massive. Un an et demi plus tard, le géant américain ExxonMobil annonce son retour en Libye, où il est chargé d’exploiter l’un des plus vastes gisements du pays.

Dans le monde de l’après 11 septembre, les immenses ressources pétrolières libyennes excitent les convoitises. Des réserves estimées à 46 milliards de barils, inaccessibles au temps de l’embargo, tendent désormais les bras aux majors pétrolières. Alors que Paris, Londres et Washington souhaitent réduire leur dépendance énergétique à l’égard des monarchies islamiques suspectes de sympathie pour Al-Qaida, responsables politiques américains et européens se rapprochent du colonel Kadhafi.

Illustrations FlickR par byammar, monkeyc. Image de Une par Loguy pour OWNI.

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