OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Lescure, du droit d’auteur au devoir d’hébergeur http://owni.fr/2012/12/06/lescure-du-droit-dauteur-au-devoir-dhebergeur/ http://owni.fr/2012/12/06/lescure-du-droit-dauteur-au-devoir-dhebergeur/#comments Thu, 06 Dec 2012 15:11:04 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=127024

“Maintenir les principes [du droit d'auteur] en les adaptant”. C’est la philosophie de la mission confiée par le gouvernement à Pierre Lescure, qui a fait en fin de matinée un très chic rapport d’étape [PDF] dans les salons du ministère de la Culture, en présence de sa locataire, Aurélie Filippetti.

Lescure, Pellerin et Filippetti dans un sac de noeuds

Lescure, Pellerin et Filippetti dans un sac de noeuds

L'Internet français entre Monty Python et Plus Belle la Vie. Bug Facebook, pigeons, Lescure, guerres de ...

Le point presse, révélé dans ses grandes largeurs quelques heures plus tôt sur le site du Monde, était surtout destiné à occuper le terrain dans un agenda gouvernemental chargé sur les questions numériques : les conclusions sur le rapprochement du CSA et de l’Arcep devrait arriver “dans les prochains jours” a indiqué la ministre, suivies de près par celles du rapport dit “Colin et Collin” sur la fiscalité numérique.

Avec son cœur d’hébergeur

L’occasion pour la ministre et son chargé de mission de rappeler, badges officiels vissés sur le cœur, leurs priorités pour un “Acte 2 de l’exception culturelle”. Mais aussi de commencer à ruer dans les brancards. Seule annonce véritable de la matinée, Pierre Lescure a en effet fait part de son intention de “revenir sur certains statuts, dont celui des hébergeurs”.

Et par hébergeurs, il fallait en fait entendre Google : la mission Lescure s’inscrit pleinement dans la guerre que mène le gouvernement français à l’encontre du géant du web, dans un objectif de reconquête de sa “souveraineté numérique”. Une souveraineté qui doit également être “culturelle” a signalé le fondateur de Canal +, déclarant :

Quand l’hébergeur a un service comme YouTube et qu’il recommande des choses à l’utilisateur, il est plus qu’un hébergeur.

Mission Lescure impossible

Mission Lescure impossible

La guerre serait-elle déjà déclenchée ? A peine installée, la mission Lescure, qui planche sur l'avenir de la culture ...

Interrogé sur une éventuelle incompatibilité avec le droit européen, qui fait autorité en la matière, Pierre Lescure a indiqué que “l’Europe n’a pas toujours raison” et qu’elle “peut évoluer”. Sans en dire davantage sur les modalités concrètes de cette évolution du régime de responsabilité des hébergeurs, véritable serpent de mer du secteur. Ce qui est sûr, c’est que la mission souhaite “responsabiliser” davantage ces acteurs, qui ne peuvent être considérés comme des “tuyaux neutres”. Pour pourquoi pas, aussi, mieux les taxer, même si l’ancien boss de Canal s’est défendu de vouloir mettre en place “le meilleur système “ permettant d’y parvenir.

Contacté par Owni, Google n’a pour le moment pas répondu à nos sollicitations.

Auditions et contradictions

Sur les autres orientations de la mission, mise en place d’une offre légale et lutte contre la contrefaçon, le temps a surtout été à la répétition.

Pierre Lescure a plaidé une nouvelle fois pour une offre légale made in France, en particulier dans le cinéma, où les tarifs, la diversité des catalogues et la chronologie des médias actuelle laissent encore à désirer.

Évidemment, pas un mot ou presque sur Hadopi, avec laquelle Pierre Lescure assure néanmoins travailler en bonne intelligence. En matière de défense de la propriété intellectuelle en ligne, outre la responsabilisation des hébergeurs, il indique vouloir agir de manière plus globale, en “luttant contre les sites illégaux en amont” et en “tarissant leurs sources de financement”.

La mission a par ailleurs confirmé son intention de ne pas aller vers une légalisation des échanges non marchands, “via une ‘licence globale’ ou une ‘contribution créative’”, soulignant que cette mesure “fait l’objet d’un rejet assez général”. Le collectif de la Quadrature du Net et l’UFC Que Choisir, favorables à ce mécanisme, déclaraient fin septembre leur intention de boycotter la mission.

Nous, les autistes du web

Nous, les autistes du web

Les professionnels du cinéma, dans leur majorité, n'aiment pas beaucoup Internet, au mieux utile aux opérations marketing ...

La mission poursuivra ses auditions jusqu’à fin décembre. Ce sera alors l’heure de la réflexion et de l’émission de propositions concrètes. “Entre nous” a précise Pierre Lescure, qui dit néanmoins veiller à l’écoute des différentes voix de la culture et du numérique. Un remue-méninges qui devrait durer “deux à deux mois et demi” avant la confrontation publique.

Pour le moment, le bilan semble bon : la presse (Le Monde ou Libération ce jour) salue par exemple l’effort de consultation, face aux “simulacres” de discussions des “missions Olivennes ou Zelnik lancées sous l’ère Sarkozy, qui ont surtout masqué des décisions prises d’avance (Hadopi en tête)”. Mais au-delà de l’intention, restent à voir les arbitrages concrets et la manière dont le gouvernement tranchera (ou pas) les “contradictions” observées par Pierre Lescure dans un bouillon de culture toujours aussi agité.

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Une histoire d’hébergeurs (2/2): et la liberté d’expression? http://owni.fr/2011/08/12/internet-droit-histoire-hebergeurs-liberte-expression/ http://owni.fr/2011/08/12/internet-droit-histoire-hebergeurs-liberte-expression/#comments Fri, 12 Aug 2011 10:40:11 +0000 Benoit Tabaka http://owni.fr/?p=76014 Suite et fin d’“Une histoire d’hébergeurs”, par le directeur des affaires juridiques et réglementaires de PriceMinister Benoit Tabaka.

Après “la naissance d’une responsabilité” en 1999, les hébergeurs continuent d’interroger les juristes: comment définir leur rôle exact ? Et comment s’assurer qu’ils ne retirent pas arbitrairement tout contenu qui leur est signalé ? Pour prévenir tout abus, le Conseil Constitutionnel a créé un garde-fou: le concept de “contenu manifestement illicite” qui seul peut mettre en cause la responsabilité des hébergeurs. Un moyen de protéger au mieux la liberté d’expression sur Internet, mais qui semble aujourd’hui se retourner contre ses ambitions initiales.


2004: on passe à l’étape supérieure

Il faudra attendre la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour avoir la transposition de ce principe aux articles 6.I.2 et 6.I.3 de la fameuse “LCEN”. Ainsi, “les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible“.

Ainsi, la responsabilité de l’hébergeur peut être retenue dès lors qu’il a connaissance de fait et contenus illicites. La LCEN répond ainsi aux critiques émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2000. La loi doit prévoir un formalisme ? Que nenni, l’article 6.I.5 fixe les conditions dans lesquelles la “connaissance est présumée acquise”. La loi doit déterminer les caractéristiques essentielles du comportement fautif ? La LCEN abandonne la logique de diligences appropriées pour se focaliser sur le principe d’une suppression des contenus litigieux.

Sauf qu’à l’époque des débats, un concept revient régulièrement. La justice privée. Par exemple, les Verts s’opposent à une loi qu’ils jugent “liberticide” car elle institue une justice privée de la Toile, entre les mains d’entreprises privées, à savoir les fameux hébergeurs.

A la même époque, est clairement débattu le rôle que doit avoir l’hébergeur. Passif ou actif face à une notification ? L’hébergeur doit-il être un juge du contenu ? Face à un contenu notifié, quelle doit être sa réaction : avertir l’auteur ? supprimer le contenu ? Et si l’auteur du contenu conteste la nature de la notification, comment agir alors ?

Cette période d’intenses discussions, notamment dans les travées du Parlement, s’explique par l’existence aux Etats-Unis d’un cadre juridique analogue créé par le Communications Decency Act en 1996 et le Digital Millenium Copyright Act en 1998. Surtout ces textes déresponsabilisent les intermédiaires mais tout en leur imposant une obligation dite de “notice and take down”. En cas de notification d’un contenu, les intermédiaires doivent le supprimer … mais aussi en informer l’auteur du contenu. Ce dernier détient alors la possibilité de le contester au travers d’une contre notification. L’intérêt ? A partir d’un moment, il revient à l’auteur de la notification initiale de saisir la justice ou le contenu est alors remis en ligne et l’intermédiaire se voie être exonéré de sa responsabilité.

Ainsi, aux Etats-Unis, l’intermédiaire n’est pas juge du contenu. Dès réception du contenu, il procède à sa suspension et à l’information de l’auteur dudit contenu. En cas de contestation, il reviendra aux juges de statuer sur le différend ou, à défaut, le contenu réapparaîtra en toute légalité.

En France, le cadre juridique n’a pas voulu aller aussi loin. On a prévu 1) le principe de notification 2) un formalisme – facultatif, les parlementaires ayant refusé de le rendre obligatoire et 3) un garde fou avec une sanction pénale en cas de notification abusive. Mais cela a paru insuffisant aux principaux observateurs. Et aussi au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le dispositif. Il a émis ce que l’on appelle une “réserve d’interprétation”. Pour ceux non familiarisés avec les concepts de droit constitutionnel, cela pourrait se résumer en : “Bon, j’te censure pas ta loi mais à la condition que cela soit interprété dans ce sens. Sinon, couik“.

Donc, les sages de la Rue Montpensier reviennent sur ce régime de responsabilité et cette crainte de justice privée. Dans leur décision, ils expliquent que “ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge“.

Le flou législatif comme garde-fou

Ainsi, naquit le concept du “manifestement illicite”. Pour le Conseil constitutionnel, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être recherchée que s’il n’a pas retiré un contenu qui était manifestement illicite.

Pourquoi avoir prévu une telle précision ? Le Conseil constitutionnel l’explique clairement dans ses commentaires :

Soulignons à ce sujet que les dénonciations dont un hébergeur sera le destinataire peuvent être nombreuses et de caractère confus, malveillant ou intéressé [Il est vrai que la loi prévoit un garde-fou contre les dénonciations qui auraient pour seul objet d'obtenir le retrait de l'information (4 du I de l'article 6). Mais un tel détournement de procédure est tout sauf évident et, étant sanctionné pénalement, il ne sera reconnu que restrictivement et tardivement.
Ce garde-fou ne mettrait donc l'hébergeur que faiblement à l'abri des dénonciations intempestives.]. De plus, la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste.
Dans ces conditions, les hébergeurs seraient tentés de s’exonérer de leurs obligations en cessant de diffuser les contenus faisant l’objet de réclamations de tiers, sans examiner le bien fondé de ces dernières. Ce faisant, ils porteraient atteinte à la liberté de communication.
En raison de leurs effets, et compte tenu du dilemme dans lequel elles enfermeraient l’hébergeur, les dispositions du 2 et (surtout) du 3 du I de l’article 6 ne cesseraient de méconnaître l’article 13 de la Déclaration de 1789 qu’en portant atteinte à son article 11

L’ajout de ce qualificatif “manifestement” est un garde-fou voulu par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas que l’hébergeur supprime systématiquement tous les contenus notifiés uniquement pour se dégager de toute cause éventuelle d’engagement de sa responsabilité.

En cela le Conseil constitutionnel responsabilisait, éthiquement, l’hébergeur en lui donnant un outil formidable destiné à protéger la liberté de communication et donc, d’être non pas l’acteur d’une justice privée, mais bien le dernier rempart en faveur de la liberté d’expression.

Seulement, un point n’a jamais été vraiment précisé par les Sages de la Rue Montpensier : ce qu’ils entendaient par “manifestement”. Cela a permis à de nombreux juristes de se pencher sur la question (voir à ce projet, cette étude très complète). Traditionnellement, le manifestement illicite est réduit aux cas de racistes et d’anti-sémitisme, de pédopornographie ou de propagation de la haine raciale. Pourquoi ces cas là exclusivement ? Cela provient tout simplement d’un article de Zdnet qui avait relaté les propos tenus par le Secrétaire général du Conseil constitutionnel en conférence de presse et qui donnait des exemples de contenus manifestement illicites.

Mais les juges n’y ont pas vu une liste limitative. Des magistrats ont ainsi pu voir dans l’atteinte à la vie privée, un contenu manifestement illicite. A l’inverse, la contestation du génocide arménien ne pouvait recouvrir cette qualification, ces propos n’étant pas illicites à l’époque des faits.

2011: il faut faire évoluer le statut

Par la suite, les débats ont porté bien souvent sur le statut de ces intermédiaires. Qui sont les hébergeurs ? Plates-formes de vidéos, plates-formes de commerce électronique, etc. La Cour de cassation est venue dans plusieurs arrêt du 17 février 2011 donner son interprétation, concernant notamment Dailymotion. Elle explique ainsi “que la société Dailymotion était fondée à revendiquer le statut d’intermédiaire technique” au sens de la LCEN.

Dailymotion reconnu comme hébergeur. Si on prend cet exemple, un second sujet se pose alors : quid du manifestement illicite ? Si on dit que Dailymotion, en sa qualité d’hébergeur, ne se doit de retirer que les contenus manifestement illicites qui lui ont été notifiés, quelles diligences doit-il prendre lors du traitement des notifications des ayants-droit ? On peut se poser la même question au regard du développement des systèmes d’empreintes qui ont vocation à automatiser le traitement des notifications et finalement à mettre en oeuvre un “notice and stay down”, c’est à dire un blocage de la réapparition de contenus identiques.

Et c’est à ce stade de l’histoire que la question se pose : le garde-fou créé par le Conseil constitutionnel destiné à éviter les notifications abusives et destiné, non pas à protéger les intermédiaires mais à assurer la protection de la liberté de communication, est-il toujours effectif ?

Cet abandon du garde-fou est accéléré par les mêmes décisions de la Cour de cassation du 17 février 2011. Les juges suprêmes estiment qu’une “notification délivrée au visa de la loi du 21 juin 2004 doit comporter l’ensemble des mentions prescrites par ce texte“. En clair, la procédure de l’article 6.I.5 est une procédure non pas facultative, comme le souhaitait le Parlement, mais bien une procédure obligatoire que se doit de suivre le tiers souhaitant notifier un contenu illicite sur une plate-forme.

Et dès lors que l’on crée une voie formalisée de notification des contenus, la mise en oeuvre du “notice and take down” par les hébergeurs peut alors prendre une voie industrielle : la notification conforme à la LCEN est reçue, le contenu est supprimé.L’hébergeur abandonne alors l’analyse du contenu de la notification et ne s’assure plus que celle-ci vise bien qu’un contenu “manifestement illicite”.

Donc, d’un côté, la Cour de cassation impose un formalisme en matière de notification. De l’autre, les hébergeurs développent de plus en plus une coopération avec les tiers, notamment les ayants droit (musique, cinéma, marques, etc.), afin de faciliter ou fluidifier les notifications et leur traitement. Des outils sont également mis en place afin, pour les intermédiaires, d’adopter une démarche proactive de recherche des contenus (bases d’empreinte pour les vidéos, mots clés ou analyses du contenu d’offres pour les petites annonces de produits).

Le garde-fou qu’aurait dû être l’hébergeur disparaît progressivement et s’estompe. En l’absence de formalisme pour la notification, l’hébergeur était amené à procéder à l’examen de celle-ci et éventuellement à refuser les demandes. Combien de fois ai-je refusé à un titulaire de “droits exclusifs” la possibilité d’imposer un prix de vente à ses distributeurs sur une plate-forme de commerce électronique. De même, il m’est arrivé de m’opposer à la suppression de contenus pointés comme étant “diffamatoires” .. mais prescrits depuis de nombreux mois.

Ce travail d’analyse sera-t-il encore mené à partir du moment où l’article 6.I.5 pose, plus qu’un formalisme, un principe selon lequel la connaissance des contenus est alors présumée acquise. Ainsi, la Cour de cassation impose un formalisme, mais la conséquence du respect de ce formalisme est que l’hébergeur a, alors, la connaissance des faits illicites .. imposant leur retrait.

Ainsi, en focalisant le débat juridique exclusivement autour de la nature de l’intermédiaire (hébergeur ou pas), on a totalement oublié le rôle que la loi, et surtout le Conseil constitutionnel, a conféré à cet intermédiaire. Celui d’être un des garants de la liberté d’expression sur les réseaux.

Des pistes pour protéger la liberté

Il y a aussi une raison à cela, sans doute en forme de mea culpa. Le débat autour du statut de l’hébergeur s’est focalisé depuis plus de 5 ans autour des acteurs du web 2.0, les fameux acteurs de l’Internet communautaire. Et surtout, l’un des sujets majeurs discutés lors des contentieux était le respect des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, droits voisins, droit des marques, brevets, etc.) voire la protection de réseaux de distribution. Les enjeux de ces débats sont de nature économique. Il s’agit de protéger des droits exclusifs d’exploitation et les revenus (et aussi emplois) qui y sont attachés. Le débat devient alors purement économique sur l’atteinte que provoque les intermédiaires.

Mais à aucun moment, la question de la liberté d’expression ne se pose, ne s’est posée dans ces débats. Quand l’industrie musicale critique l’utilisation de certains morceaux musicaux dans des vidéos, est-ce la liberté d’expression qui est en jeu ? Quand un vendeur est accusé de porter atteinte à un réseau de distribution sélective, la liberté d’expression est-elle un enjeu ?

De même, quand on sait que la grande des parties de ces contentieux a été jugée par des magistrats spécialisés sur les questions de propriété intellectuelle, on peut s’interroger sur la place de la problématique de la protection de la liberté de communication dans l’esprit des magistrats.

La critique du traitement trop fréquent de la question du statut de l’hébergeur au travers du prisme de la protection des droits de propriété intellectuelle est réelle et justifiée. Et il n’est pas étonnant aujourd’hui que la question de la révision au plan communautaire du statut juridique de l’hébergeur puisse intervenir, non pas à l’occasion d’une discussion d’une nouvelle directive “e-commerce”, mais à l’occasion de la directive IPRED, comprendre “renforcement des droits de propriété intellectuelle”.

Et surtout, maintenant que les dossiers contentieux vont de moins en moins porter sur la qualification de tel ou tel intermédiaire en hébergeur, est-ce qu’un intermédiaire fera le choix de s’opposer à une notification et ainsi courir d’un contentieux où son statut pourrait être en lui même remis en cause ?

Au gré des contentieux, il semble que l’appréciation du caractère manifestement illicite d’un contenu ait disparu et clairement, il est de moins en moins dans l’intérêt d’un intermédiaire de remettre en cause ce caractère manifeste dans ses échanges avec les tiers. La boîte de Pandore a été difficile à refermer, elle ne l’est pas totalement. Rare sont ceux qui voudront se relancer dans de tels débats.

Se pose alors une question : ne faudra-t-il pas instaurer dans le droit français un nouveau garde-fou protecteur des libertés ? Dans les couloirs sombres des lobbyistes de l’Internet, une question sérieuse se pose : celle de l’instauration d’une procédure de contre-notification à l’américaine. Ainsi, il ne sera plus demandé à l’intermédiaire de se faire juge de l’illicite ou même du manifestement illicite. Il reviendra à l’auteur du contenu, objet de la notification, de la contester. Et si l’auteur de la notification le désire, il lui reviendra le soin de saisir le juge afin d’en obtenir le retrait.

Le garde-fou serait double. D’une part, il s’agirait de la procédure administrative et contradictoire organisée par l’intermédiaire. D’autre part, il s’agirait des pouvoirs du juge qui demeure, rappelons-le, l’un des garants des libertés selon notre système juridique.

Il ne fait pas de doute que rouvrir le débat parlementaire autour du statut de l’hébergeur est purement illusoire, voire suicidaire, notamment au regard des propositions de créer des régimes ad hoc, comme par exemple, celui de l’éditeur de service en ligne.

Mais à une époque où la question de la protection de la liberté de communication devient centrale, il ne faudrait pas que l’arbre – filtrage – puisse cacher la forêt. Il faut rappeler que le filtrage des contenus par les fournisseurs d’accès (enfin, le “blocage” de ceux-ci) intervient de manière subsidiaire à une autre mesure : celle de la suppression desdits contenus par les hébergeurs.

Les garanties procédurales, et notamment le recours au juge, qui sont revendiquées en matière de blocage devraient également trouver leur pendant dans les procédures existantes en matière de suppression des contenus par les hébergeurs à la demande de tiers. Contrairement aux Etats-Unis, nous n’avons pas en France de base de données des notifications reçues et/ou traitées par les hébergeurs. Nous n’avons pas de transparence sur les mesures prises. Et nous n’avons plus de gardes-fous.

Dans ses confessions d’un voleur, Laurent Chemla disait :

C’est là qu’il faut chercher et trouver l’Internet, dans la liberté d’expression rendue au plus grand nombre par un simple outil qui organise la cacophonie. (…) Cette liberté, sachez la conserver, quand vous l’aurez, vous aussi, retrouvée.


Retrouvez la première partie sur OWNI: “Une histoire d’hébergeurs: naissance d’une responsabilité”

Billet initialement publié sous le titre “Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d’expression sur Internet?” sur le blog de Benoît Tabaka

Paternité Kevin Saff /Paternitéotodo/ Paternité Slideshow Bruce/ PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification carabendon

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Une histoire d’hébergeurs (1/2): naissance d’une responsabilité http://owni.fr/2011/08/11/une-histoire-dhebergeurs-12-naissance-dune-responsabilite/ http://owni.fr/2011/08/11/une-histoire-dhebergeurs-12-naissance-dune-responsabilite/#comments Thu, 11 Aug 2011 17:18:08 +0000 Benoit Tabaka http://owni.fr/?p=75961 Le régime de responsabilité des intermédiaires du réseau: la prise de tête assurée pour tout individu désireux de se plonger dans les méandres du droit d’Internet… Sur Internet: qui est quoi ? Et qui, dans la longue chaîne d’opérateurs intervenant sur la toile, est responsable du contenu publié ?

Benoit Tabaka, directeur des affaires juridiques et réglementaires de PriceMinister, revient sur la tumultueuse histoire du régime de responsabilité des “hébergeurs” dont la mise en place s’est faite dans l’oubli progressif de la liberté d’expression, pourtant essentielle au réseau. Premier volet de la rétrospective !


On ne cesse de le répéter, le statut juridique relatif à la responsabilité des intermédiaires de l’Internet tend à se stabiliser. Certes, c’est le cas. Après la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans le dossier L’Oréal v. eBay UK et surtout, après les arrêts de la Cour de cassation sur l’application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à divers intermédiaires – que l’on appelle communément des hébergeurs, le cadre juridique tend effectivement à se stabiliser.

Mais finalement, la stabilisation trouvée est-elle la bonne ? À un moment où l’on s’interroge perpétuellement sur une révision du régime de responsabilité applicable aux intermédiaires de l’internet – certes à entendre les ayants droit dans un sens de son renforcement, il se peut que la Cour de cassation ait donné un coup de volant à la direction prise par un grand nombre d’acteurs, un coup de virage qui pourrait fortement redessiner le cadre juridique applicable.

Quel changement les juges suprêmes français auraient donc initié ? Sans doute la fin du concept du “manifestement illicite”, pourtant proclamé par le Conseil constitutionnel.

Rembobinons la pellicule. Repartons à zéro. Asseyez-vous confortablement et déroulons le fil de l’histoire. Le fil de l’histoire du numérique.

L’affaire Altern: au commencement, rien

Et si je vous disais que le cadre juridique tel qu’on le connaît aujourd’hui trouve son fondement autour de trois noms : Estelle Hallyday, Calimero et la RATP. Et le tout, avec un prestataire technique connu alors sous le nom d’Altern.org.

Au milieu des années 90, Valentin Lacambre décide de créer un site appelé Altern.org qui se propose d’héberger gratuitement sites web et adresses de courrier électronique. Aucune bannière de publicité, le service étant alors intégralement financé par les services minitel qu’il exploite en parallèle. Altern.org devient très vite un lieu de stockage de très nombreux sites, passant de quelques sites en 1995 à plus de 30000 en 1999. Mais, au sein de ces pages, quelques problèmes.

Ainsi, à partir de 1997, Altern.org connaît plusieurs procédures judiciaires intentées à son encontre. En Avril 1998, une action est intentée par Estelle Hallyday à la suite de la diffusion de plusieurs photographies. En novembre 1998, une deuxième action est engagée par les titulaires de droits sur le personnage Calimero pour un usage dans le monde sadomasochiste. En février 1999, ce sera au tour de la RATP d’attaquer en justice l’hébergeur du site ratp.org et ensuite se rétracter.

A l’époque le régime juridique de l’hébergeur n’existe pas. Ces acteurs, ces intermédiaires de l’Internet sont alors traités par les magistrats sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile et en particulier sur la base de l’article 1382 du Code civil. Celui qui commet une faute causant préjudice, doit le réparer. Plusieurs décisions interviennent et notamment un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 10 février 1999 qui sera à l’origine d’une rupture.

La Cour d’appel de Paris, sous la présidence de Marie-Françoise Marais, dit alors ceci :

Considérant qu’en offrant, comme en l’espèce, d’héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site ALTERN.ORG qu’il a créé et qu’il gère toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de publics, de signes ou de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondances privées, Valentin LACAMBRE excède manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations et doit, d’évidence, assumer à l’égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibérés, entrepris d’exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu’il prétend, est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique

Valentin Lacambre est alors condamné à la somme de 300.000 FF (45.000 euros) de dommages et intérêts. De très nombreuses réactions commencent alors à tomber et celles-ci prennent une ampleur notamment politique. Les Verts publient un communiqué le 4 mars 1999 de crainte de voir la disparition de l’internet citoyen et solidaire. Le Parti socialiste leur embraye le pas le 12 mars 1999 en publiant un communiqué (archive.org) appelant à “clarifier les responsabilités sur Internet“.

Chose surprenante, le ministre de l’économie de l’époque – Dominique Strauss-Khan – adresse un email à Valentin Lacambre pour lui faire part de son soutien :

Monsieur Valentin Lacambre,


En navigant sur le réseau, j’ai pris connaissance de la situation à laquelle vous êtes confronté depuis quelques semaines et qui vous a amené à interrompre votre service d’hébergement de sites web. Plusieurs procédures sont en cours devant les tribunaux, et il n’appartient pas à un membre du gouvernement de prendre position dans le débat judiciaire. Cette affaire met néanmoins en lumière plusieurs points importants pour le développement de la société de l’information dans notre pays.


Tout d’abord, Internet n’est pas un espace de non-droit et nous devons explorer les voies qui permettent de protéger, sur le réseau comme ailleurs, les droits fondamentaux des personnes. A ce titre, certaines activités sur l’Internet pourraient sans doute appeler une adaptation du droit actuel. En effet, les incertitudes sur les modalités précises d’application du droit peuvent créer un sentiment d’instabilité juridique qui peut générer des dépenses importantes pour les entreprises. Ces coûts peuvent être particulièrement lourds pour les PME/PMI qui n’ont pas toujours les structures ou les moyens pour supporter ces dépenses. Le cas d’altern.org en est une illustration.


J’observe également que la plupart des analyses conduites en France, notamment par le Conseil d’Etat, et au niveau européen, dans les discussions relatives au projet de directive sur le commerce électronique, convergent pour limiter la responsabilité de l’hébergeur, tant qu’il n’a pas eu connaissance des contenus illicites qui ont pu transité sur le réseau par son intermédiaire. De façon plus générale, chacun mesure en navigant sur le web que les mécanismes traditionnels de réglementation du secteur audiovisuel ne peuvent être généralisés à l’ensemble des contenus mis à disposition du public sur Internet. Ainsi, un hébergeur de sites ne saurait, à mon sens, être comparé à un éditeur de presse ou à une chaîne de télévision.


Ces questions complexes montrent combien il nous faut accélérer les travaux engagés en France et avec nos partenaires européens pour ne pas freiner le développement d’Internet.


Bonne chance et meilleures salutations.


Dominique Strauss-Kahn

Fascinant. Le 17 mars 1999, c’est au tour de Lionel Jospin, alors Premier ministre, d’intervenir. Lors d’un discours, il revient sur l’affaire Altern et explique que le “régime juridique applicable à l’internet doit encore être adapté”. Il demandait alors qu’un travail soit lancé afin d’aboutir à la fixation d’un cadre juridique spécifique. Donc la décision est prise. La majorité de l’époque souhaite agir. Surtout, qu’en parallèle se discute à Bruxelles le projet de directive dite “e-commerce” dont certains articles sont destinés à fixer le cadre juridique applicable à l’ensemble des intermédiaires de l’internet.

Et donc, le 20 mai 1999, Patrick Bloche dépose un amendement à l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la liberté de communication. Il sera adopté, puis amendé lors de son passage au Sénat, avant une adoption définitive le 20 juin 2000. Le texte ne satisfait pas alors les acteurs du net, et notamment Altern.org qui décide de cesser ses activités à compter du 1er juillet 2000.

Le texte adopté prévoyait deux causes d’engagement de la responsabilité des hébergeurs :
- l’absence de suppression des contenus suite à une injonction judiciaire ;
- et “si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées“.

2000: on déresponsabilise l’hébergeur

Ainsi, la loi de 2000 souhaitait imposer aux hébergeurs une obligation de prendre “des diligences appropriées” dès réception d’une notification d’un tiers au regard d’un contenu qu’ils hébergent. Mais, cette partie du texte ne passera pas l’analyse du Conseil constitutionnel qui dans une décision en date du 27 juillet 2000 censure cette phrase au motif “qu’en omettant de préciser les conditions de forme d’une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution“.

La loi du 1er août 2000 sera donc publiée mais amputée de cette deuxième cause d’engagement de la responsabilité des hébergeurs. L’hébergeur ne sera donc responsable que si, ayant été saisi par l’autorité judiciaire, il n’a pas procédé au retrait des contenus. Le premier régime de responsabilité aménagée de l’hébergeur était donc créé en France.

Au regard des rares causes d’engagement possible de la responsabilité de l’hébergeur, tous les débats judiciaires qui ont suivi se sont focalisés sur une seule question : l’intermédiaire en cause est-il hébergeur au sens de la loi et donc, bénéficie-t-il du régime aménagé ? La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur cette question une fois dans la fameuse affaire Tiscali, plus exactement à propos du site d’hébergement de pages personnelles “Chez.com”, financé par l’affichage de bannières publicitaires. La Cour de cassation avait refusé, le 14 janvier 2010, de faire application de ce cadre juridique, excluant ainsi “chez.com” du bénéfice du régime de l’hébergeur, le rôle de l’intermédiaire excédant les simples fonctions techniques de stockage.

La Cour de cassation suivait ainsi le rapport de son rapporteur, Marie-Françoise Marais. Comme nous l’indiquions, la magistrate était à l’origine de l’arrêt Altern.org, qui a provoqué la loi du 1er août 2000, loi dont la Cour de cassation devait faire l’interprétation…

Mais au final, cet arrêt de la Cour de cassation avait peu d’intérêt sur le plan purement juridique ? Car, en janvier 2010, le cadre juridique avait déjà été modifié sous l’impulsion de deux étapes. La première date du 8 juin 2000 et correspond à l’adoption par les institutions européennes de la Directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite directive sur le commerce électronique).

Le texte institue en son article 14 une obligation pour les Etats de prévoir un régime de responsabilité aménagée au profit des hébergeurs ainsi rédigée :

Article 14
Hébergement


1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que:

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.


2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.


3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible.


La suite au prochain épisode (demain…)


Billet initialement publié sous le titre “Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d’expression sur Internet?” sur le blog de Benoît Tabaka

Illustrations: Flickr CC PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales jreedPaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales kevindean/  PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Kristian VinkenesPaternitéPartage selon les Conditions Initiales hillary h/ PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Brother O’Mara/

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Blocage des sites : Le juge contourné, pas les critiques http://owni.fr/2010/09/30/blocage-des-sites-le-juge-contourne-pas-les-critiques/ http://owni.fr/2010/09/30/blocage-des-sites-le-juge-contourne-pas-les-critiques/#comments Thu, 30 Sep 2010 09:48:36 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=29969 De retour à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, le projet de Loi d’Orientation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure (Loppsi) a été examiné hier par la Commission des Lois.

La Commission a “rejeté sans discussion” l’amendement visant à réintroduire l’obligation de passer par l’autorité judiciaire pour ordonner aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) le blocage d’un contenu présentant un “caractère manifestement pédo-pornographique”.  En janvier dernier, lors du premier passage du texte devant cette même Commission, un amendement similaire est adopté malgré l’avis défavorable du rapporteur Eric Ciotti selon qui “le caractère odieux et scandaleux des images diffusées exige que l’on soit très réactif”. Mais il y a quelques semaines, cette obligation est supprimée par le Sénat.

La disposition oblige les opérateurs à “empêcher l’accès sans délai” aux internautes français aux contenus “présentant un caractère manifestement pornographique”. Cet article de la Loppsi est inséré dans l’article 6 de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), article qui permet déjà de faire retirer ou de rendre inaccessible l’accès à des contenus illicites en posant le principe dit de subsidiarité. Cela implique de s’adresser d’abord à l’éditeur, puis à l’hébergeur du contenu, avant de se tourner vers les FAI en cas d’échec des demandes précédentes. Un principe conservé dans la loi sur les jeux en ligne (même si malmené dans l’affaire Stanjames) mais supprimé dans la Loppsi.

Ce qui est critiqué par beaucoup comme étant un simple “masquage” qui ne permet ni de supprimer les contenus, ni de lutter activement contre la pédo-pornographie et la pédophilie.

“Le dispositif prévu (…) ne permet nullement de réduire la pédo-pornographie en elle même, soutiennent des députés (pdf) en janvier dernier. Tout au plus permettra-t-il de cacher aux internautes le phénomène”. Cela est aussi contesté par des associations d’hébergeurs et d’opérateurs (GESTE, ASIC, AFA, FFT, etc.) “Nous sommes pour le retrait à la source (…) non pour un masquage” déclare ainsi l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA). Alors que la FFT (Fédération Française des télécoms) juge la remise en cause de la subsidiarité “inacceptable”. En Allemagne, sous le slogan “Supprimez, le bloquez pas — Agissez, ne fermez pas les yeux!“, MOGiS e.V., une association de victimes d’abus sexuels sur mineurs, s’oppose au blocage des sites “comme moyen de lutte contre la circulation des images à caractère pédopornographique sur Internet”.

Récemment, eco, association allemande des industriels d’Internet a révélé que “des 197 sites qui ont été signalés au cours du premier semestre 2010 au bureau des plaintes d’eco, 194 ont pu être supprimés dans le délai d’une semaine“. Et que les contenus hébergés sur des serveurs allemands étaient hors ligne en une journée.

Hier, AK Zensur, un groupe de travail qui regroupe plusieurs associations allemandes de défense des droits et libertés des citoyens, a publié la première version d’une analyse (pdf) sur le blocage par liste noire au Danemark et en Suède. Ceci alors, qu’outre-Rhin comme en France, les pays scandinaves sont souvent cités en exemples pour affirmer que de tels dispositifs sont possibles et efficaces. Leur analyse d’“un échantillon représentatif de 167 sites actuellement bloqués au Danemark” montre que la majorité des domaines bloqués “ne sont plus actifs”.

Pour les trois encore actifs, et contenant de la pédo-pornographie, ils ont contacté via une notification par mail l’hébergeur américain et le registrar indien. Et rapportent que le premier est intervenu en moins de 30 minutes, et le second au bout de trois heures. Également bloqués en Norvège, Suède et Finlande, deux des noms de domaines concernés sont présents sur la liste noire au Danemark depuis 2008. “Cela signifie que la police n’a rien fait depuis deux ans pour faire fermer ces sites“, critique AK Zensur.

Dans une brochure (pdf) publiée il y a quelques jours, l’organisation européenne EDRI (European Digital Rights) explique également pourquoi, selon elle, le blocage de sites ne fait que masquer les crimes que sont la pédo-pornographie et la pédophilie. “Bloquer implique de laisser les sites illégaux en ligne, et de simplement rendre leur accès plus difficile. L’accès est cependant toujours possible, quelque soit la technologie utilisée”, écrit l’EDRI. “En revanche, la suppression d’un site illégal entraîne son retrait d’Internet, et rend son accès impossible.

L’étude cite Björn Sellström, officier de police, et chef du groupe d’enquête contre la pédopornographie et la maltraitance des enfants en Suède, où un dispositif de blocage par les FAI a été mis en place en 2005 . Il y a un an, Björn Sellström déclarait : “nos mesures de blocage ne conduisent malheureusement pas à réduire la production de pédopornographie sur Internet.”

Image : CC RIUM+
Image article : AK Zensur

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La Marais noire du web submerge la Hadopi http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/ http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/#comments Fri, 23 Jul 2010 14:17:52 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=22760 L’élection de Marie-Françoise Marais à la présidence de la Hadopi consacre une carrière rondement menée. Retour sur la carrière d’un bon petit soldat des ennemis de l’Internet.

L’affaire Estelle Halliday, qui déboucha sur la fermeture d’Altern.org, pionnier des défenseurs de la liberté d’expression sur le Net, et ses 45 000 sites web ? Marie-Françoise Marais. L’affaire Mulholland Drive, qui statua, par deux fois, que la copie privée n’était pas un droit ? Marie-Françoise Marais. Peu connue du grand public, cette magistrate spécialiste du droit de la propriété intellectuelle a longtemps combattu les droits et libertés des internautes. Mais paradoxalement, sa nomination à la présidence de la Hadopi pourrait être une bonne nouvelle.

Marie Françoise Marais

A pas peur internaute, c'est juste Marie-Francoise Marais. (DR Marc Rees)

1998. Le magazine Entrevue publie des photographies d’Estelle Halliday, nue, “trouvées sur Internet“. Le responsable du site web en question, Altern.org/Silversurfer, les avait en fait scannées dans un vieux numéro d’un autre magazine people, Voici, qui les avait lui-même achetées à un ancien petit ami de la mannequin -ce qui avait d’ailleurs valu à Voici d’être condamné.

Plutôt que de porter plainte contre Entrevue, ou contre le webmaster du site qui avait remis les photos en ligne, Estelle Halliday porta plainte contre l’hébergeur du site web, Valentin Lacambre, pour avoir “gravement porté atteinte à son droit à l’image et à l’intimité de sa vie privée“, lui réclamant 700.000 francs de dommages et 100.000 francs d’astreinte par jour.

Étrangement, jamais la justice ne tenta d’identifier le responsable du site web en question, préférant s’en prendre à la personnalité de son hébergeur. De fait, Valentin Lacambre n’est pas un prestataire comme les autres. Pionnier du Net, il avait fait fortune en créant le 36 15 Internet.

Alors que d’autres faisaient de l’argent avec le minitel rose, Valentin, lui, abhorrait le porno. De fait, il avait coupé l’accès au site de Silversurfer lorsqu’il découvrit le pic de trafic que les photos nues d’Estelle Halliday engendrait.

Pour lui, l’enjeu de l’Internetest ni plus ni moins que la liberté d’expression au XXIe siècle” :

“Qui aura le droit de publier et à quelles conditions (anonymat,…), qui aura le droit de consulter des documents et à quelle conditions (censure,…) ?

Pour ce qui est d’aujourd’hui, je place ce site sous la responsabilité et le contrôle de l’Organisation des Nations Unies.”

D’un point de vue économique, il estime également que l’Internet permettra d’en finir avec l’esclavage” :

“Dans une société ou le travail est mécanisé, il n’y a pas de sens à rémunérer l’homme selon son travail, sauf à le laisser mourir de faim.

Quand 300 hommes sont renvoyés pour laisser la place à 300 robots, je dis que les hommes doivent percevoir leur part de l’argent généré par les robots.”

Ce pour quoi, n’ayant pas besoin, pour vivre, de tout l’argent que son 36 15 Internet engendrait, il avait décidé de créer l’un des tous premiers services d’hébergement gratuit mais aussi et surtout sans publicité, Altern.org, qui hébergeait à l’époque plus de 45.000 sites web, dont un grand nombre de sites politiques et d’opinion, comme Valentin Lacambre s’en expliquait au moment de l’affaire Estelle Halliday :

“Altern.org est le seul service qui réponde à la fois à ces deux conditions : gratuit, sans la moindre contrepartie (y compris publicitaire), et ouvert à tous sans aucune discrimination, qui sont pour ceux qui l’ont choisi la garantie d’une totale indépendance, idéologique et commerciale, donc d’une totale liberté d’expression.”

“Veiller à la bonne moralité”

En référé, le juge Jean-Jacques Gomez estima “nécessaire de préciser que le fournisseur d’hébergement a l’obligation de veiller à la bonne moralité de ceux qu’il héberge (…) et au respect par eux des lois et des règlements et des droits des tiers“, enjoignant Valentin Lacambre, sous astreinte de 100.000 francs par jour, à empêcher toute diffusion ultérieure des photographies d’Estelle Hallyday.

Soulignant qu’il était “matériellement impossible de vérifier le contenu de tous les (45.000) sites hébergés à tout instant“, Valentin Lacambre fit appel, laissant entendre qu’en cas de condamnation, il n’aurait d’autre choix que de “fermer boutique“, et les 45.000 sites web d’Altern avec.

Alors que la Commission européenne, s’inspirant directement d’une législation américaine récente relative au droit d’auteur sur ce qu’on appelait à l’époque “les autoroutes de l’information” défendait le principe de l’exonération de responsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, Marie-Françoise Marais, qui jugea l’affaire en appel, opta pour l’option responsabilisation.

Elle estima en effet que dans la mesure où Valentin Lacambre avait permis aux internautes de s’exprimer, il “excédait manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations“, et devait donc être tenu pour responsable des propos tenus sur les sites web qu’il hébergeait. Ce pour quoi elle le condamna à 300.000 francs de dommages et intérêts, plus 105.000 francs de frais judiciaires, quand bien même il avait coupé l’accès au site en question.

Valentin Lacambre n’eut d’autre choix que de fermer l’ensemble des sites hébergés sur Altern.org, et ce d’autant que d’autres plaignants avaient décidé, dans la foulée, de s’attaquer à celui qui, à l’époque, incarnait la défense de la liberté d’expression. Les ayant-droits (italiens) de Calimero lui réclamaient en effet 2,53 millions de francs de dommages et intérêts pour usurpation de la marque “c’est vraiment trop injuste“…

De fait, l’affaire Altern ne s’arrêta pas là. Si Valentin Lacambre trouva finalement un accord avec Estelle Halliday (sur la base de 70.000 francs au lieu des 405.000 accordés par Marie-Françoise Marais), le webmaster de Calimero.org (un site sadomasochiste amateur) fut quant à lui condamné, en mars 2000, à 300.000 francs de dommages et intérêts, Valentin Lacambre, en tant qu’hébergeur, écopant quant à lui de 180.000 francs d’amendes et frais de justice, jugement assorti de cette mention qui restera dans les annales de l’histoire de la liberté d’expression :

“Interdit a Mr Lacambre tout usage de la phrase “c’est trop injuste”, sous quelque forme et support que ce soit.”

Dans la foulée, le député (PS) Patrick Bloche proposa, en l’an 2000, d’amender la loi de 1986 relative à la liberté de communication afin de garantir la liberté d’expression, cantonner le rôle des hébergeurs à celui de simple prestataire technique, et donc éviter de nouvelles affaires Altern.

Dans les faits, et au cours de la navette parlementaire, l’amendement Bloche fut détourné de sa finalité première. D’une part parce qu’il obligea ceux qui veulent s’exprimer sur le web à décliner leur identité (noms, prénoms et adresse) à leurs hébergeurs.

D’autre part parce que ces derniers devinrent des auxiliaires de justice, sinon des indic’, tenus de procéder à des diligences appropriées en cas de mise en demeure par des tiers, autrement dit de censurer tout contenu accusé (à tort, ou à raison) de ne pas respecter la loi, ouvrant la voie à la très longue saga de la responsabilité des hébergeurs.

Mais pour Marie-Françoise Marais, cette loi, destinée à protéger les hébergeurs, et donc la liberté d’expression, allait encore trop loin. Ce pour quoi, 10 ans après, elle remit le couvert, à l’occasion de l’affaire Tiscali qui, en janvier 2010, vit la Cour de Cassation, dont la rapporteure et conseillère était Mme Marais souligner que “la société Tiscali média a offert à l’internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site et aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion“.

Dès lors, et “par ces seules constatations souveraines faisant ressortir que les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage“, Tiscali ne pouvait pas bénéficier du régime protecteur des hébergeurs adopté par la loi de l’an 2000 suite à l’affaire Estelle Halliday dont cette même Marie-Françoise Marais avait été l’instigatrice à l’insu de son plein gré…

Image CC Geoffrey Dorne /-)

“Ne laissez pas l’argent détruire la musique”

Après avoir ainsi contribué à faire fermer 45.000 sites web, à l’identification préalable de ceux qui veulent s’exprimer sur le web, et à la privatisation de la justice par des opérateurs privés, invités à servir d’indic’, Marie-Françoise Marais décida de s’attaquer à ceux qui, sur leurs sites web, se permettent de faire des liens vers d’autres sites web, démarche qualifiée de “délibérée et malicieuse“.

NRJ accusait en effet sa concurrente Europe 2 de contrefaçon et de concurrence déloyale, et lui réclamaient 500.000 francs de dommages et intérêts. Le motif du courroux” de la radio de Jean-Paul Baudecroux ? Europe 2 “présentait sur son site Internet une rubrique intitulée ‘Anti-NRJ’, donnant directement accès, au moyen d’un lien hypertexte, à une page d’un site suédois reproduisant la marque susdite au milieu d’un panneau d’interdiction de stationner et comportant, sous l’intitulé “The (un)official NRJ-Hatepage” (“La page (non)officielle de haine à l’égard de NRJ”) un texte en langue anglaise contenant des propos suivants” qui préfiguraient bien le désamour grandissant des internautes envers l’industrie musicale auquel nous assistons depuis l’apparition du .mp3 :

“Cette page est créée pour faire réfléchir les stations de radio comme NRJ à ce qu’elles font. La musique est quelque chose de personnel et, comme nous le savons tous, nous sommes tous des individus avec des opinions et des pensées différentes.

Le problème principal que j’entrevois est que presque toutes les stations de radio ou les chaînes musicales comme MTV n’en ont cure et se foutent des minorités musicales ou de la musique que, simplement, elles n’aiment pas et qui ne leur rapportent pas assez d’argent.

Comme vous le voyez, l’argent et le mercantilisme sont les grandes plaies et constituent la raison pour laquelle de nombreuses personnes manquent aujourd’hui d’intelligence musicale parce qu’elles écoutent de la musique commerciale de merde. Oui, j’appelle ça de la musique de merde parce que ce n’est pas artistique et en tout cas pas créatif et personnel. Je pourrais en écrire bien plus long sur cette corruption musicale, mais je pense que c’est suffisant pour que vous vous rendiez compte des dégâts que l’argent peut faire dans la scène musicale.

Ce que j’exige de vous qui êtes impliqués dans cette corruption, c’est plus de professionnalisme et de respect à l’égard des musiciens véritablement talentueux au lieu de soutenir des musiciens commerciaux, manipulés et qui ne sont pas des artistes.

Haine est un mot fort et c’est rarement une solution à un quelconque problème, mais quand des stations de radio commerciales et corrompues comme NRJ ne font que passer de la musique qui ne stimule pas le cerveau humain, la haine grandit à l’intérieur et on réalise que quelque chose doit être fait pour préserver les éléments artistiques de la musique.

Alors pourquoi ne pas mettre votre nom sur la liste qui suit pour montrer que vous vous souciez de l’avenir de la musique et que vous détestez l’attitude musicale de l’une des plus grandes stations de radio commerciales d’aujourd’hui : NRJ.

Ne laissez pas l’argent détruire la musique.

Soutenez la campagne.”

En première instance, le tribunal avait estimé que la mention”anti-NRJ” constituait bien un “acte de contrefaçon de marque“, qu’il ne relevait pas pour autant de la “concurrence déloyale” mais qu’il constituait tout de même un “élément dénigrant“, et avait condamné Europe 2 à 1 franc d’indemnité symbolique, estimant qu’elle “ne pouvait être tenue pour responsable du contenu du site (suédois) auquel elle a permis un acte direct par un lien de connexion hypertexte“.

En septembre 2001, Marie-Françoise Marais condamna, en appel, Europe 2 à 500.000 francs de dommages et intérêts, plus 100.000 francs pour l’insertion de sa décision dans deux journaux, au motif que “la mention “anti-NRJ” reproduite par la société Europe 2 Communication sur son site constituait un acte de contrefaçon de marque (et) de concurrence déloyale” dans la mesure où “la création de ce lien procède d’une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause“.

D’aucuns commencèrent alors à expliquer que “le lien hypertexte, même s’il participe de l’essence même du web, peut se révéler un instrument dangereux dont l’utilisation abusive doit être sanctionnée” dans la mesure où il serait une “arme redoutable“. Fear…

Les menottes sont la règle, la liberté l’exception

Vice-présidente du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, membre de l’Autorité de Régulation des Mesures Techniques (ARMT) créée par la loi DADVSI et, en tant que “personnalité qualifiée” et à “titre personnel“, au Comité National Anti-Contrefaçon (CNAC), Marie-Françoise Marais ne pouvait pas ne pas se pencher sur le droit à la copie privée.

Ce qu’elle fit dans la célèbre affaire “Mulholland Drive“, du nom du film de David Lynch dont le DVD avait été protégé par un DRM (Digital Rights Management), ou MTP (“Mesures Techniques de Protection”), qualifiées, par leurs opposants, de “menottes numériques” destinées à limiter nos libertés.

Un cinéphile, frustré de ne pas pouvoir réaliser de copie privée de son DVD, avait attaqué l’éditeur et réclamait l’annulation de la vente. Maître Eolas a longuement commenté cette saga qui vit Marie-Françoise Marais, en tant que rapporteure à la Cour de cassation, s’illustrer par deux fois en cassant un précédent arrêt plus favorable aux consommateurs.

En 2006, elle rappelait que la copie privée n’est pas un droit, mais une exception au principe de l’interdiction de toute copie de l’œuvre et, comme le soulignait alors maître Eolas, commençait donc à appliquer la loi DADVSI, “avant même qu’elle ne soit votée” :

“L’exception de copie privée s’apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d’auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique”

En clair, comme le résumait Marc Rees sur PCInpact, “avant de copier un DVD, un individu doit faire une thèse en économie pour savoir si la copie de ce DVD qu’il envisage va générer des risques ou un préjudice injustifié au marché“.

Une décision confirmée par cette même cour de cassation, dont Marie Françoise Marais était encore la rapporteure, en 2008, au motif que “que l’impossibilité de réaliser une copie privée d’un disque DVD sur lequel est reproduite l’œuvre ne constituait pas une caractéristique essentielle“.

En clair : le fait d’être traité comme un “voleur” parce qu’on ne peut pas lire le CD ou le DVD (qu’on a pourtant acheté) sur son ordinateur est tout à fait conforme à la loi. Les internautes n’ont que le droit d’utiliser des systèmes Windows, voire Mac, mais surtout pas GNU/Linux, pas plus qu’ils n’ont le droit de pouvoir lire les films ou chansons qu’ils ont pourtant acheté sur leurs baladeurs numériques, auto-radio ou PC de bureau…

“Vive l’Hadopi !”

Chevalier de la légion d’honneur depuis 2001, officier de l’ordre national du Mérite depuis 2008, Marie-Françoise Ouvray, épouse Marais, âgée de 65 ans, a été mise à la retraite le 20 mai 2010, le décret précisant que sa date de “fin de maintien en activité en surnombre” était portée au 19 mai 2013.

Le décret relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet précise, lui, que la durée du mandat de son président est de six ans. Nombreux sont ceux qui pensent que l’Hadopi aura autant de succès que l’épouvantail à moineaux que fut la DADVSI, et que l’efficacité de cette usine à gaz sera inversement proportionnelle à l’argent qu’elle aura coûté.

En attendant de savoir ce qu’il adviendra de Marie-Françoise Marais après le 19 mai 2013, son élection à la tête de l’Hadopi est peut-être et paradoxalement une bonne nouvelle. C’est en tout cas ce que pense Valentin Lacambre :

“Marais est en croisade depuis longtemps. C’est pas un juge, c’est un soldat !

Au moins, depuis qu’elle est à l’Hadopi, elle ne peut plus juger les affaires Internet, et comme c’était le dernière juge viscéralement contre Internet au TGI de paris, vive Hadopi, parce que grâce à l’Hadopi, on aura de meilleurs jugements, sans Marais…

En fait, vu que l’Hadopi ne sert à rien, Marais ne sert plus à rien, et elle s’est annulée toute seule :)”

En guise de conclusion, ce petit extrait son, où Marie-Françoise Marais s’était curieusement mise en colère au sujet des conditions de rémunération (180.000 euros brut annuel) de son secrétaire général, qui permet d’apprécier sa façon condescendante de répondre aux questions, de mesurer la solennité avec laquelle elle aborde la très importante mission de son usine à gaz administration :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Merci à Marc Rees pour la photo de Marie-Françoise Marais. Photos CC de Calimero de Andi y su desvan, Spiegelneuronen et Acid Zebra.

Allez également jeter un oeil sur l’édito de ce dossier, “3615 Internet“, ainsi que l’article “Quatorze ans après, ils n’ont rien appris“.

Image de Minitel CC Flickr nicolasnova.

Et n’oubliez pas de télécharger l’affiche de une format poster réalisée par Geoffrey Dorne /-)

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http://owni.fr/2010/07/23/la-marais-noire-du-web-submerge-la-hadopi/feed/ 29
Hébergeur + publicité = éditeur ? http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/ http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/#comments Thu, 18 Feb 2010 14:03:21 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=8470 Article initialement paru sous le titre “Hébergeur + publicité = éditeur ? Un arrêt de la Cour de cassation lourd de conséquences”

La Cour de cassation vient de trancher sur des faits datant de 2002. Si l’environnement législatif a changé depuis, une crainte subsiste : c’est de voir la responsabilité d’un hébergeur engagée à l’image de celle d’un éditeur (1) dès lors qu’une publicité payante figure sur la page comportant une contrefaçon.

A l’époque l’hébergeur Tiscali ne disposait pas des données permettant d’identifier la personne qui avait mis en ligne un contenu illicite. La Cour d’appel l’avait condamné pour contrefaçon, après l’avoir requalifié en éditeur, considérant que « les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage».

La Cour de cassation a confirmé cette décision le 14 janvier 2010. Elle n’a pas tenu compte des remarques d’un rapport parlementaire qui soulignait qu’un fournisseur d’hébergement était « nécessairement conduit à structurer l’information qu’il stocke sur son ou ses serveurs », « qu’aucun texte n’opère de distinction entre les prestataires de services sur le critère économique » et qu’il est « contraire à la loi de condamner le modèle de la gratuité rémunérée par la publicité ».

Les commentateurs n’ont pas hésité à souligner que le rapporteur de la décision de la Cour de cassation va occuper très prochainement le poste de présidente de la HADOPI.

Tel était la brève que j’avais faite dès la publication de l’arrêt, à la mi-janvier 2010. Le billet Rubin Sfadj m’incite à reprendre certaines de ses remarques. Il attire non seulement notre attention sur le fait que depuis cet arrêt de « la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français », la responsabilité des prestataires techniques de l’Internet monte d’un cran et que ceci n’est pas prévu par la loi, mais que ceux-ci se trouvent désormais face à dilemme irréaliste puisqu’il leur faudrait soit contrôler a priori tous les contenus (ce qui est techniquement impossible), soit renoncer à se faire financer par la publicité (ce qui est économiquement impossible, et les ferait fuir vers de meilleurs cieux).

Il rappelle aussi que cette décision menace la liberté d’expression puisque que dès lors qu’un de ces services est financé par la publicité, il serait incité à retirer des contenus à chaque notification, sans vérifier le bien-fondé des allégations (2). Cette disposition, note-t-il fort justement,  avait pourtant été censurée par le Conseil constitutionnel en 2000 (3).

Alors, certes, l’environnement a beaucoup changé et avec les développements du web 2.0 les prestataires techniques sont devenus des points de mire. Ils occupent une place centrale dans les lois Hadopi, dans la Loppsi 2, ce projet de loi adopté le 16 février 2010 en 1ère lecture par l’Assemblée nationale, mais aussi, comme le rappelle aussi Rubin Sfadj, dans ACTA, projet d’accord international qui pourrait les obliger à fournir les données de connexion de leurs utilisateurs suspectés non plus de terrorisme (4) mais de piratage, sans intervention, ajoute-t-il,  de l’autorité judiciaire (5).

Si l’arrêt Tiscali a des conséquences juridiques, il a visiblement aussi des conséquences économiques et des conséquences pour les libertés. Le web prend visiblement un autre tournant en ce moment. Il convient d’être vigilant.

Notes

(1)  Selon la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), la responsabilité des hébergeurs et des FAI n’est engagée que si, avisés de la présence d’un contenu manifestement illicite, ils ne le retirent pas dans les plus brefs délais, ou s’ils ne répondent pas aux exigences de la décision d’un juge. En revanche, la responsabilité d’un éditeur est engagée pour tous les contenus mis en ligne puisque l’on  considère qu’il lui est possible d’en prendre connaissance préalablement.

(2) A l’image de ce que vient de faire Google aux Etats-Unis, avant de se raviser

(3)  Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000  Le Conseil constitutionnel a reproché au législateur d’avoir « omis de préciser les conditions de forme d’une telle saisine » et de » n’avoir pas déterminé les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale des intéressés ».

(4) Conserver les données de connexion des abonnés, une obligation imposée aux FAI  par la loi anti-terroriste.

(5) Les dispositions d’ACTA sont encore secrètes, mais on en connaît les grandes lignes.

Sources

La future présidente de l’Hadopi finit fort, Guiseppe di Martino, Slate.fr, 15 janvier 2010

Cour de cassation : Tiscali, éditeur du contenu qu’il héberge, Marc Rees, Pc-Inpact, 15 janvier 2010

Responsabilité des hébergeurs : un problème à surveiller de près, Rubin Sfadj, ReadWriteWeb, 12 février 2010

Textes

Cass Civ 1, 14 janvier 2010, Telecom Italia (Tiscali) c/ Dargaud Lombard et Lucky Comics. Sur le site Juriscom

Loi n° 29004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et liens vers les décrets d’application. Sur le site Légifrance

> Article initialement publié sur Paralipomènes

> Photo d’illustration jef safi sur Flickr

Sur la question du statut d’éditeur ou d’hébergeur, une décision vient d’être rendue dans l’affaire opposant l’agrégateur Paperblog à la plate-forme Overblog.

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http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/feed/ 0