OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le doigt d’honneur fiscal d’Apple http://owni.fr/2012/11/07/le-doigt-d-honneur-fiscal-d-apple/ http://owni.fr/2012/11/07/le-doigt-d-honneur-fiscal-d-apple/#comments Wed, 07 Nov 2012 10:27:38 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=125047

Les pratiques d’optimisation fiscale des géants du Net occupent une nouvelle fois le devant de la scène. Apple aurait été imposé à l’international à hauteur de 2%, d’après les résultats annuels publiés par la Securities and exchange commission (SEC), le gendarme de la bourse américaine. Un fiscaliste européen ne souhaitant pas être cité, confirme que les manipulations financières sont plutôt simples.

Les profits américains sont quant à eux en partie épargnés “grâce à un montage impliquant l’État du Névada”. Les entreprises technos, plutôt bien dotées financièrement, ne versent pas – ou très rarement – de dividendes à leurs actionnaires : verser des dividendes “c’est pas cool” et indiquerait la fin de la phase de croissance, peu souhaitable pour des entreprises dont le mantra reste l’innovation…

Le cas européen

L’Europe étant un marché unique, la libre circulation des biens n’empêche pas chaque État de faire ce qu’il veut en terme de fiscalité et l’Union européenne intervient peu. Parmi les “failles” législatives, on citera la possibilité pour les géants de la vente de biens immatériels de taxer dans le pays d’établissement de leur siège social, souvent l’Irlande (comme pour Google) ou le Luxembourg (comme pour Apple et iTunes).

Où Apple planque ses tunes

Où Apple planque ses tunes

C'est un secret de Polichinelle, Apple a installé le siège d'iTunes au Luxembourg. De l'évasion fiscale en bonne et due ...

Mais une directive de 2008 donne trois ans (entre 2015 et 2018) aux entreprises pour préparer la taxation des ventes de biens immatériels dans le pays de l’acheteur et plus dans le pays “vendeur”. La directive n’est pas encore entrée en vigueur, ce dont profite Apple pour imposer les vente d’iTunes au taux luxembourgeois. Et ce même si c’est un Français qui achète un album sur iTunes d’une star qui ne l’est pas encore. Mais la petit manipulation, à partir du premier janvier 2015, ne pourra pas plus en théorie avoir lieu et les téléchargements seront soumis – progressivement – à la TVA du pays de l’acheteur. Dommage pour les exemplaires marchands US qui pour Greenwich Consulting [PDF ] représentaient en 2008, 70% du marché européen.

La directive, portant sur l’application de la TVA au taux du pays de l’acheteur, n’a pourtant pas été acceptée d’emblée par les pays contraints au droit communautaire et elle l’a été à “l’issue de discussions difficiles entre les États membres”. On comprend que le Luxembourg et l’Irlande rechignent un peu. Et que, de fait, les négociations aient été longues : 27 États à se disputer une taxe allant sans froisser le Luxembourg, ça peut durer longtemps.

Le montage d’Apple ne lui est pas spécifique. De la même manière, Google pratique le double irish et permet aux profits des sociétés technologiques d’échappent au fisc. Owni a publié les liasses de Google qui attestent de 12 milliards d’euros de revenus en Europe (et un tout petit impôt de 5 millions en France pour l’année 2011). Le Canard Enchaîné du 31 octobre a révélé que la Direction générale des impôts réclamait à Google presque 1 milliard d’euros pour quatre ans de chiffre d’affaires français exilé en Irlande, chez Google Ireland limited, sans être déclaré au fisc.

Les chiffres d’affaires de plusieurs pays sont concentrés en Irlande et une redevance est versée aux Pays-Bas pour rémunérer les brevets, la marque et autres immatériels. Le régime des Pays-Bas permet de faire sortir une redevance vers un paradis fiscal, sans avoir à payer d’impôts. Aux États-Unis, nul besoin de passer par des paradis fiscaux.

Le Nevada, nouvel eldorado

Avec un taux d’imposition égal à zéro, le Nevada – et le Delaware – deux États bien agréables pour les entreprises telles qu’Apple, sont providentiels et permettent de miser sur les investissements et la R&D, gage de sérieux pour les investisseurs et l’image des entreprises du Net. Le spécialiste de la fiscalité du numérique ironise :

On constate depuis quelques années que tout n’est pas réinvesti, loin de là, et que ces sociétés accumulent une trésorerie très abondante (près de 100 milliards de dollars pour Apple).

On est bien loin des 800 millions de trésorerie du CNC, qui font bondir les FAI français, taxés pour financer le fonds et la création.

Le web mise sur le fisc irlandais

Le web mise sur le fisc irlandais

Apple vient d'annoncer un renforcement de ses effectifs au sein de son siège européen, en Irlande. La firme recrutera 500 ...

Le système américain taxe à hauteur de 35% à l’échelon fédéral. Et s’ajoute à ce taux les impôts de chaque État, plus ou moins important selon chaque législation. Alors le Névada n’impose pas les sociétés, le taux de la Californie avoisine 8%. Une fois qu’il faut rapatrier, le montage n’est pas compliqué : la trésorerie accumulée et conservée dans les paradis fiscaux attendent les “tax holidays” qui permettent aux entreprises de rapatrier du cash aux Etats-Unis, à la faveur d’une réforme fiscale après une élection par exemple. Et ce, sans verser le moindre impôt.

The Sunday Times rapporte qu’Apple a touché 36,9 milliards de dollars de revenus, à l’international. Pour 731 millions de dollars d’impôts, bien peu au regard de ses revenus donc. En France, BFM vient de révéler qu’Apple “ne déclare que 257 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors, qu’en réalité, il engrange dans l’Hexagone près de 3,5 milliards d’euros de revenus”. Pour 7 millions payés en impôts en France.


Affiche originale par Geoffrey Dorne [CC-byncsa] pour jaffiche.fr et remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)

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Les torts de Google redressés http://owni.fr/2012/03/21/les-torts-de-google-redresses/ http://owni.fr/2012/03/21/les-torts-de-google-redresses/#comments Tue, 20 Mar 2012 23:25:17 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=102715

La nouvelle est arrivée mardi en début d’après-midi, Google France tombe sous le coup d’une procédure de redressement fiscal pour un montant d’environ 100 millions d’euros. En cause, une partie du dispositif irlandais de défiscalisation par la firme, qu’OWNI avait décrit au mois d’avril 2011, et qui pourrait lui avoir permis d’échapper à l’impôt sur les sociétés ainsi qu’à la TVA entre 2008 et 2010.

Les îles Bermudes, la planque à billets de Google

Les îles Bermudes, la planque à billets de Google

Nous avons recueilli les procès-verbaux des sociétés de Google en Irlande, utilisées pour expédier ses bénéfices vers ...

Cette grosse punition intervient au lendemain de la révélation par le site de l’hebdomadaire L’Express d’une descente de la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et des Douanes au siège parisien de Google, le 30 juin 2011. Lors de la perquisition, de nombreux “mails, factures et autres contrats” ont été saisis puis conservés comme pièces à conviction pour évaluer le montant de l’impayé. Et déterminer l’origine des opérations menées en France auprès des clients et des fournisseurs de Google.

En d’autres termes, il s’agit d’établir si la facturation des achats de liens sponsorisés peut être légalement établie au siège social irlandais de la firme. C’est de l’évasion fiscale si les ordres ont été enregistrés en France. Sur ce point, Bercy émet des réserves quant à la localisation du centre des décisions commerciales de Google qui pourrait avoir réalisé une partie de ses opérations dans l’Hexagone sans s’acquitter du montant de la taxe.

C’est sans doute le fossé abyssal entre le chiffre d’affaires de Google France (68,7 millions d’euros en 2010) avec son cousin du Royaume-Uni (2,5 milliards d’euros), 37 fois plus important, qui a pu mettre la puce à l’oreille de la DNEF. D’autant que la France reste un pays économiquement important pour l’entreprise américaine, qui détenait 95% du marché des liens sponsorisés en 2010 et pour laquelle l’Hexagone constitue encore le quatrième pays en terme d’activité selon L’Express.

La problématique de l’enquête du fisc consiste alors à déterminer juridiquement où se trouve cette localisation. S’il s’avérait que les ordres passés en France ont suivi un “cycle commercial complet” avant d’aller directement dans les caisses de l’Irlande, la justice française redressera les bretelles du moteur de recherche avant de lui vider les poches. Dans le cas contraire, où la procédure resterait tout ce qu’il y a de plus réglementaire, Google ne paierait rien. Le ministère du Budget n’a pas souhaité faire de commentaire au nom du secret fiscal. De son côté, un porte-parole de la firme a déclaré à l’AFP :

Google se conforme aux législations fiscales de tous les pays dans lesquels l’entreprise opère, et nous sommes convaincus d’être en conformité avec la loi française.

Les avocats de l’entreprise ont donc tout intérêt à éviter un redressement fiscal qui, même s’il représente une part pouvant sembler dérisoire au regard du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise (29,32 milliards de dollars en 2010), équivaut tout de même 145% du chiffre d’affaires de Google France. Une condamnation du géant américain serait également synonyme de jurisprudence et ouvrirait la porte à des conséquences pour les autres grandes entreprises du marché notamment Facebook, Apple et Amazon connues elles aussi pour leur politique d’optimisation fiscale européenne. Les conduisant à fonder de multiples structures au Luxembourg.

Cette affaire de redressement intervient seulement quelques jours après la proposition par Nicolas Sarkozy de “taxer les géants du net” et notamment Google qui ne paie que 2,4% d’impôts ses bénéfices en Irlande. Problème, la proposition d’une taxe sur la publicité en ligne a déjà été retoquée à la demande du Conseil National du Numérique (CNN), en juin 2011.

Cette fois, le président-candidat semble décider à imposer les grandes entreprises de l’internet qui devront, s’il est réélu, “s’acquitter d’un impôt représentatif des activités dans notre pays”. Le 15 mars dernier, il déclarait à l’hebdomadaire Le Point:

Il n’est pas admissible qu’ils réalisent un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros en France sans contribuer à l’impôt


Photos sous licences Creative Commons par Stuck in Customs [CC-byncsa]

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Où Apple planque ses tunes http://owni.fr/2011/09/16/ou-apple-planque-ses-thunes-luxembourg-itunes/ http://owni.fr/2011/09/16/ou-apple-planque-ses-thunes-luxembourg-itunes/#comments Fri, 16 Sep 2011 09:46:33 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=79542 OWNI a rendu visite à une société soucieuse de s’entourer d’une grande discrétion : Apple au Luxembourg. En plein débat sur la dette nationale, les entreprises à l’origine de systèmes d’évasion fiscale à grande échelle font tâche. À l’image donc de celui d’Apple, qui a domicilié au Luxembourg les activités d’iTunes pour l’Europe.

Depuis le 10 juin 2004, sa plateforme pour la vente en ligne de musique et de films est installée dans le Grand-Duché, véritable planque fiscale. Quand le citoyen français achète sur iTunes, il paye donc une TVA luxembourgeoise qui sert à construire les routes et à entretenir les écoles du Grand-Duché, tout petit mais très riche. Pour rendre compte de l’ampleur de la combine, OWNI s’est rendu sur place.

L’évidence dans le silence

Rendez-vous 8, rue Heinrich Heine, à Luxembourg. Pas de plaque sur le mur ni de logo lumineux. Juste une étiquette à peine visible sur la sonnette et la boîte aux lettres. L’immeuble, lui, n’a rien à voir avec l’idée que l’on se fait d’un quartier général d’iTunes.

Petit mais chic, plus ancien que dernier cri, il est planté au milieu de la rue, à deux pas du château d’ArcelorMittal. Un emplacement discret par rapport aux opulents bâtiments occupés par les banques et les grands groupes. Les voisins que nous avons croisés ignorent qu’iTunes a établi ici son repère. Une libraire de l’avenue adjacente en est toute étonnée.

Le plus informé semble être un livreur en pull jaune, habitué à apporter des colis aux entreprises partageant le même immeuble que la firme. iTunes, il connaît bien :

Oui oui, ils sont juste-là, au dernier étage. Mais ça risque d’être compliqué pour vous d’entrer, c’est une vraie banque là-dedans.

Le terme n’est pas exagéré. Les millions d’euros générés par les ventes de produits immatériels dans toute l’Europe transitent là, derrière trois fenêtres où travaillent une quinzaine de personnes tout au plus.

Sur place, les employés d’iTunes avec lesquels nous nous sommes entretenus se montrent gênés. Ils se font petits, esquivent les questions les plus simples.

On n’est qu’un petit bureau vous savez, rien à voir avec Londres. Il faut l’autorisation de notre hiérarchie pour que l’on puisse répondre à vos questions car beaucoup d’éléments sont confidentiels.

Sans l’accord du service de presse londonien ou de la maison mère américaine personne n’est habilité à s’exprimer, selon une employée qui a systématiquement refusé de commenter les bons résultats financiers de l’entreprise au dernier trimestre. Environ 28,57 milliards de dollars dont plusieurs dizaines de millions grâce à iTunes.

Même pas le trognon pour le fisc

L’opacité de sa communication s’explique sans doute parce que l’astucieuse combine luxembourgeoise en fait râler plus d’un en Europe.

Et il y a de quoi. Depuis que le site a décidé en 2004 de déposer ses mallettes dans le Grand-Duché sa compétitivité s’en est trouvé accrue. Le Luxembourg possède la TVA la moins élevée de l’UE (15%). Mais ce taux serait officieusement négocié avec les autorités compétentes à 6%.

Actuellement, en matière d’e-commerce, l’Europe applique la TVA du pays vendeur plutôt que celui du lieu de résidence de l’internaute qui achète. Ainsi, avec les ventes de musiques et les locations de films / séries TV sur son site, Apple (comme plusieurs de ses concurrents) va directement chercher son chèque à la case départ sans que la France et ses homologues européens, eux aussi lésés dans l’affaire, ne perçoivent la moindre TVA. Un système pour le moins immoral mais légal.

La problématique est d’autant plus ennuyeuse que l’Europe est en période de disette économique. Déjà, en octobre 2009, une synthèse d’un rapport de Greenwich Consulting [PDF] rendu au Sénat estimait que 300 millions étaient passés sous le nez du fisc français en 2008.

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni perdants jusqu’en 2015

Ce dispositif fiscal prendra fin le 1er janvier 2015. Date à laquelle les téléchargements seront progressivement soumis à la TVA du lieu de résidence de l’internaute. Au grand dam des trois poids lourds du e-commerce qui représentaient environ 70% du marché européen en 2008 selon Greenwich Consulting. La disposition qui prévoit que la directive 2008/8/CE règle le problème en 2015 a été adoptée à l’unanimité à « l’issue de discussions difficiles entre les Etats membres » et qu’il n’est par conséquent « pas possible d’envisager une anticipation de sa date d’entrée en vigueur ». D’ici là, beau paradoxe, Apple n’a pas jugé utile d’installer un Apple Store au Luxembourg avant « au moins deux ans » selon les confidences d’un vendeur spécialisé.


A nos lecteurs adeptes (à raison) de Maître Capello : attention, il y a un jeu de mots dans le titre.

Crédits Photo FlickR CC : PaternitéPas d'utilisation commerciale par Finger FoodPaternitéPas de modification par Myrrien ;

Retrouvez l’ensemble du dossier :
Apple coupe le son et Apple à livre ouvert

Illustration de Une par Loguy

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Quand Barclays essayait de censurer le Guardian http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/ http://owni.fr/2011/06/01/quand-barclays-essayait-de-censurer-le-guardian/#comments Wed, 01 Jun 2011 13:30:15 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65566 Le 16 mars 2009, un scandale éclate dans les pages économiques du Guardian. Les journalistes du quotidien révèlent les détails des mécanismes d’évasion fiscale utilisés par Barclays, 3e banque mondiale. En lien avec cet article, sept mémos confidentiels de Barclays sont diffusés sur le site du Guardian. Leur contenu est accablant. Grâce à plusieurs schémas complexes passant par les îles Caïman et le Luxembourg, la banque a dissimulé plus de 16 milliards de dollars au fisc anglais. L’agence Bloomberg évalue le montant d’impôts évités à 1,5 milliards d’euros par an.

Quand sortent ces documents, l’opinion publique anglaise est déjà très hostile à ses banques. Un autre scandale a éclaté quelques jours plus tôt : la Royal Bank of Scotland a avoué avoir évité de payer 500 millions de livres d’impôts grâce à des techniques d’évasion fiscale. Malaise : RBS venait alors d’être sauvée par les contribuables anglais, et quasi-nationalisée. Les documents de Barclays évoquent des montants bien plus importants. Le fisc anglais (Her Majesty’s Revenue and Customs, HMRC) lance immédiatement une enquête.

Barclays réagit rapidement, et utilise une procédure juridique d’urgence. Dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 mars, un juge appelle la rédaction du Guardian et ordonne le retrait des documents. Le média anglais a l’interdiction de diffuser les mémos, mais également d’inciter ou d’encourager ses lecteurs à les lire. Le quotidien fait appel, mais le 19 mars sa demande est rejetée : les documents doivent rester “confidentiels”.

Dommage pour la crédibilité du juge, il est déjà trop tard. Les mémos ont été reproduits et circulent rapidement. L’effet Streisand fonctionne à plein régime: sur de multiples forums on trouve des liens menant vers “ces documents que Barclays ne veut pas que vous lisiez”.

Les community managers du site du Guardian se voient confier une nouvelle mission : censurer tous les commentaires qui pourraient donner des indications sur les mémos. Certain lecteurs tentent alors d’utiliser des codes, comme dans ce commentaire relevé par le site Liberal Conspiracy.

While institutions keep important legal evidence all kin suffer. “

Dès le 17 mars, les mémos sont disponibles sur le site de Wikileaks. Trois jours après l’appel du juge, tous ceux qui s’intéressent au sujet ont lu ces documents. Mais le Guardian ne peut toujours pas traiter correctement cette affaire, qu’il a pourtant lancé.

Le 26 mai, Matthew Oakeshott, un député libéral démocrate, libère la parole des journalistes. Il utilise un droit constitutionnel des parlementaires anglais, celui de parler en totale liberté devant leurs pairs. Matthew Oakeshott évoque donc les mémos en séance publique, avec les termes suivants :

“Le Sunday Times et le Guardian les ont déjà évoqués en Une, et ces documents sont largement disponibles sur Internet, sur des sites comme Twitter, Wikileaks.org, Docstoc.com and Gabbr.com.”

Si les parlementaires bénéficient du droit inaliénable de s’exprimer, les journalistes ont le droit de reproduire les discours des députés. Cette intervention de Matthew Oakeshott achève donc d’invalider la décision de justice touchant le Guardian.

Face au scandale, les dirigeants de Barclays ont cherché à banaliser ces révélations. Convoqué devant une commission de la chambre des Lords, le PDG John Varley a totalement assumé le contenu des mémos.

“Nous avons des activités financières, et l’impôt est un élément comme un autre de ces activités. Nous avons l’obligation devant nos actionnaires [...] de gérer les taxes de manière efficace.”

Il lance ensuite aux officiels anglais “jugez nous sur les taxes que nous payons”. La banque aurait payé 10 milliards de livres d’impôts en Angleterre entre 2003 et 2008. Barclays ne risque rien de plus qu’une dégradation de son image. L’évasion fiscale, si elle est choquante, n’est pas illégale. De plus, les banquiers sont dans une position de supériorité face à l’administration. Dans une lettre accompagnant les documents, la source anonyme des mémos explique cet état de fait.

“Il est communément accepté qu’aucune agence, anglaise ou américaine, n’a les ressources ou l’implication suffisante pour inquiéter SCM (Ndlr: la section financière de Barclays). SCM dispose d’énormes moyens, des meilleurs cerveaux récompensés par des millions de livres. A titre de comparaison, une récente offre d’emploi du HRMC proposait un poste d’expert fiscal rémunéré 45000 livres.”

“HMRC ne pourra jamais, dans son état actuel, combattre efficacement ce business.”

Si les dirigeants de Barclays n’ont pas eut à craindre de poursuites judiciaires, ce scandale a déclenché une réelle prise de conscience en Angleterre. Qui devrait à terme modifier les pratiques du secteur bancaire. Même si la première réaction des politiques anglais s’est limité à une déclaration de bonnes intentions. Quelques mois après la publication des mémos le ministre des finances Alistair Darling a fait signer aux banques anglaises un code de bonne conduite. Elles se sont engagées à respecter l’esprit de la loi, et donc à cesser d’utiliser ce type d’évasion fiscale.

Un premier pas, pour calmer l’opinion avant une réforme globale de la législation  bancaire. L’objectif : éviter que les contribuables anglais aient de nouveau à renflouer leurs banques. Une commission indépendante a remis un rapport préliminaire le 11 avril 2011, une série de propositions en vue de la future loi. Le débat continue.

Matthew Oakeshott, toujours engagé sur le sujet, a proposé d’obliger les banques à déclarer publiquement les impôts qu’elles payent. Une idée certainement inspirée par Barclays: Début 2011, la banque a dû avouer n’avoir payé que 113 millions de livres d’impôts en 2009. L’équivalent d’1% de ses bénéfices. L’opinion publique a été choquée une fois de plus.

Dans leur lobbying contre cette future loi, les banques anglaises ont utilisé une menace classique: quitter le pays. Barclays pourrait déménager à New York, le maire de la ville a déjà annoncé que les banquiers seraient bien reçus. La menace n’a pas été prise au sérieux : le président de la commission a déclaré qu’il ne croyait pas dans un mouvement de masse. Le plan d’austérité record du gouvernement anglais, jamais vraiment accepté par la population, oblige les officiels à afficher une certaine fermeté face aux banques. Dans quelques mois, la nouvelle législation sera mise en place. Et les Anglais pourront juger de la liberté de leurs gouvernants face au secteur bancaire.


Photo FlickR CC : Paternité par Dominic’s pics ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Ian Gallagher.

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La transparence, une ressource inexploitée… http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/ http://owni.fr/2011/06/01/industries-extractives-transparence-regulation-financiere-petrole-mines/#comments Wed, 01 Jun 2011 12:26:53 +0000 Renaud Coureau http://owni.fr/?p=65562 Michel Roy, économiste et linguiste, est directeur de la section internationale du secours catholique. Il a été membre du bureau de l’ITIE (Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive) durant quatre ans, et coordinateur de la plate-forme internationale Publish what you pay. Il fait le point sur les différentes initiatives en faveur de la transparence financière.

Qu’est-ce que l’ITIE aujourd’hui et quels en sont les résultats?

En 2003, Tony Blair cherchait une réponse aux interpellations des ONG anglaises sur la transparence des grandes entreprises. Il a donc lancé l’ITIE (initiative pour la transparence dans l’industrie extractive, NdR), qui avait pour mission originelle d’établir une norme internationale de transparence pour les activités extractives : pétrole, diamants, minerais. Mais il s’agit d’une norme sur le mode anglo-saxon. Pas vraiment de contraintes ou de règles fermes, mais plutôt une recherche de consensus, de solutions acceptables par tous.

En 2007 a été lancé le processus de validation des pays producteurs selon les critères de l’ITIE. Les pays concernés sont ceux qui tirent plus de 25% de leurs revenus des industries extractives.

Pour être certifiés conformes à l’ITIE, les pays candidats doivent produire un rapport donnant des informations chiffrées sur ce que versent les compagnies à l’État, et sur ce que l’État reçoit. Un expert indépendant doit valider ce rapport, qui a vocation a être actualisé tous les ans. Aujourd’hui, sur 60 pays potentiellement concernés, 35 sont engagés dans le processus, dont 11 sont déjà certifiés.

Huit ans après son lancement, cette initiative n’est pas encore arrivée à maturité. Les critères restent trop souvent subjectifs. Nous souhaiterions plus d’objectivité, plus de solidité. Il faudrait également faire entrer les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine, NdR) dans le processus, ainsi que les plus gros producteurs. Le G20 incite tous ses membres à participer à l’ITIE.

Quel intérêt ont les pays producteurs à une meilleure transparence dans leurs affaires?

Beaucoup de ces pays ont de sévères problèmes de gestion des ressources. Des années de conflits, des gouvernements autocratiques… le contexte politique de certains pays a abouti à une opacité totale. Plusieurs raisons peuvent les pousser à participer au processus ITIE.

D’abord pour des questions d’image vis-à-vis de l’extérieur. Beaucoup veulent prouver au monde qu’ils sont bons gestionnaires. Ensuite, ces pays sont souvent très endettés, or le FMI met l’adhésion à l’ITIE comme condition pour annuler la dette d’un État. La banque mondiale fait également pression, cette fois pour lutter contre la corruption.

L’ITIE peut également aider les dirigeants de ces pays à y voir plus clair. J’ai entendu le ministre des Finances du Mali dire qu’il ne savait pas ce que l’or rapportait à son budget…

Tous les pays ne s’engagent pas avec la même force. J’ai pu l’observer au Congo Brazzaville. Le président Denis Sassou-Nguesso a envoyé une lettre à la banque mondiale en 2004, pour annoncer que son pays souhaitait entrer dans l’ITIE. Mais les premières démarches concrètes ont été effectuées en 2006… et des membres de l’organisation Publish What You Pay (PWYP) ont été incarcérés entre temps. Dans ce cas, la démarche ITIE s’est limitée à une déclaration d’intention. C’est le cas de beaucoup de pays, qui s’engagent, mais mollement.

A l’inverse, la présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, a utilisé l’ITIE pour réformer son administration, et mettre en place un cadre contraignant. On se libère difficilement de décennies de mauvaise gestion. Au final, elle a dépassé le cadre de l’EITI, en imposant également la transparence dans les industries forestière et agroalimentaires.

Les compagnies pétrolières sont-elles également coopératives?

En 2003, elles sentaient déjà la pression de la société civile dans certains pays, comme le Nigeria. Quand un pays entre dans le processus, cela devient contraignant pour toute les compagnies qui y travaillent.

Les majors, qui ont une image à défendre, jouent le jeu en général. Elles ont un intérêt à avancer vers plus de transparence, cela rassure les investisseurs. Mais entre ce que décide le siège et la manière dont c’est mis en œuvre par les filiales sur place, il peut y avoir un décalage. A un tel point que Total a dû consacrer du personnel dédié à la transparence dans ses filiales.

Une compagnie cherche à produire du pétrole, à créer de la richesse. Le reste, ce n’est pas prioritaire. Néanmoins, les majors pétrolières soutiennent presque toutes l’ITIE. Total et Areva ont signé en 2003, GDF Suez un peu plus tard. C’est parfois indispensable pour entretenir de bonnes relations avec les États.

Dans les pays les plus riches, sentez-vous une volonté politique d’imposer plus de transparence aux multinationales?

Les pays du Nord sont plus moteurs que ceux du Sud. La crise les a encouragé à aller vers plus de transparence. Les États sont marginalisés sur la scène internationale. L’économie financière dirige le monde à leur place. La transparence peut aider les États à récupérer des fonds. Dans tous les pays, le fisc pousse fort dans ce sens.

Par exemple, la loi Dodd-Franck, adoptée aux États-Unis, oblige les compagnies cotées à publier des informations pays par pays et projet par projet. Votée en juillet 2010, elle n’est toujours pas effective : les décrets d’application ont été reportés à décembre 2011, suite à un lobbying très fort des multinationales. Elles demandent des exemptions quasiment sur tout…

Notre objectif, c’est que cette norme devienne planétaire. On pousse l’Union Européenne à adopter les mêmes règles. Notre opportunité : la révision de la directive sur l’obligation de transparence. Dans l’idéal, la nouvelle version de cette directive se baserait sur la loi Dodd-Franck.

Mais les discours publics restent flous… Les compagnies sentent qu’elle ne pourront pas éviter de donner des informations pays par pays. Ce qui les amènera à corriger d’elles-même leurs pratiques d’évasion fiscale. Mais les données projet par projet, c’est une autre affaire. Les compagnies pétrolières sont vent debout contre ce projet. Bercy est également contre. L’argument utilisé, c’est toujours celui de la concurrence. Publier des données projet par projet, cela donnerait un avantage aux concurrents. Ce ne sont pas les Américains qui sont visés, mais les Chinois, qui ne seront pas soumis aux mêmes contraintes. C’est un argument qu’on peut comprendre, et c’est pourquoi il faut établir une norme globale.

L’un des freins les plus importants à cette logique planétaire, c’est la position des pays émergents. Aucun d’entre eux ne soutient l’ITIE. Même si leurs compagnies nationales s’engagent, comme Petrobras au Brésil ou Pemex au Mexique.

Quelle institution pourrait valider une telle norme? Le G20?

Il n’y a pas d’autorité boursière mondiale… La norme s’établira d’elle même, si les États-Unis lancent la dynamique et que l’Europe suit. Singapour a également lancé une initiative moins ambitieuse.

C’est le sens du message que nous répétons à Total depuis des années : « Anticipez, les choses vont bouger, n’attendez pas d’être contraints ».

Vous êtes donc optimiste?

Oui, je pense que la crise oblige à développer des logiques de transparence. Si les politiques espèrent reprendre la main sur le cours des choses, ils n’ont pas le choix. Les grandes décisions sont globalisées, et le resteront. Nous vivons dans un monde beaucoup plus inter-dépendant que par le passé, donc pour s’y adapter les politiques vont devoir contraindre la sphère financière.

Il faut avancer vers une régulation financière réelle, avec la fin des paradis fiscaux et des mécanismes d’opacité. Tant que tout cela ne sera pas régulé, les chefs d’état n’auront pas de réel pouvoir sur la situation économique. Ils l’ont bien compris.

Toutes les normes de transparence avancent aujourd’hui. On sent la résistance des compagnies, on sent l’impact de leur lobbying quand on parle aux politiques. Mais j’ai le sentiment que la réalité va amener les responsables publics à faire avancer les choses. Signe positif : le G20 a repris des propositions formulées au forum social de Belem, qui vont dans ce sens.


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Menaces sur l’Etat moderne http://owni.fr/2011/05/01/menaces-sur-letat-moderne/ http://owni.fr/2011/05/01/menaces-sur-letat-moderne/#comments Sun, 01 May 2011 16:00:30 +0000 Mary C Joyce http://owni.fr/?p=59795 Article initialement publié sur OWNI.eu

Sauf mention contraire, tous les liens contenus dans cet article sont en anglais.

Les révolutions au Moyen-Orient tiennent du darwinisme politique. Les États autoritaires post-coloniaux, si bien adaptés au XXe siècle, se retrouvent absolument inadaptés au XXIe siècle. La télévision par satellite a comblé le vide de l’information ôtant ainsi aux tyrans la possibilité de déterminer seuls la réalité politique, tandis qu’Internet a permis des mobilisations réelles autour de revendications partagées dont on ne prend souvent conscience qu’une fois que les gens sont véritablement dans la rue. La stabilité politique et la légitimité des gouvernements tels qu’on se les représentait jusqu’à maintenant sont dès lors chamboulés.

La chute des États post-coloniaux est moins perçue par les démocraties occidentales comme une surprise que comme une menace. Pressées par le haut par les entreprises, et par le bas par un pluralisme en développement constant, les démocraties occidentales – ces chantres du progrès – sont extrêmement mises sous pression.

C’est économique, abruti

La première origine de cette angoisse existentielle est évidemment l’économie. L’État moderne n’est plus auto-suffisant. En mars dernier, les dirigeants de l’Union Européenne ont annoncé la création d’un filet de sécurité permanent de 700 milliards de dollars afin de rassurer les investisseurs. L’annonce est passée quasi inaperçue en raison de la démission du Premier Ministre portugais à cause du rejet du budget d’austérité par le Parlement, présageant une nouvelle faillite en Europe après celles de l’Irlande et de la Grèce.

Il y a plusieurs causes à ces difficultés économiques. Elles sont en partie dues à la perte de compétitivité et au ralentissement de la croissance économique parce que les sociétés financières et de service restent dans les pays occidentaux alors que l’industrie se délocalise vers à l’Est et le Sud. L’essentiel du problème est qu’en réponse à leurs citoyens, les démocraties Occidentales se sont engagées à payer des services alors qu’elle ne peuvent plus se le permettre. En Europe, ce sont les pensions du secteur public, aux États-Unis les dépenses publiques pour les programmes Medicare et Medicaid.

Aux États-Unis, des entreprises comme General Electric et Google trouvent des moyens toujours plus ingénieux de ne pas payer d’impôts alors même que le coût des dispositifs pour le troisième âge augmente avec le vieillissement de la génération du Baby Boom. Ce qui signifie qu’il y a moins d’argent qui rentre, et plus qui sort des caisses de l’État. Et la débauche d’emprunt qui a permis aux États-Unis et autres de se maintenir, ne pourra pas durer éternellement.

C’est un problème existentiel pour les démocraties occidentales parce que les retraites du secteur public et autres dépenses de sécurité sociale ne sont pas clientélistes ou le résultat de lobbying privé : elles bénéficient vraiment aux citoyens. Si ces programmes prenaient fin (improbable) ou étaient réduits à son plus simple appareil (plus probable), les classes moyennes perdraient un soutien capital qui leur permet de connaitre leur niveau de vie actuel, ceci au profit de ceux qui ne sont plus en âge de travailler. Le renforcement des classes moyennes – avec ses effets positifs pour la culture, la santé publique, la stabilité politique et le bonheur humain – n’était-il pas justement l’une des grandes victoires de la démocratie occidentale ? Si les démocraties ne peuvent plus se permettre de subventionner les classes moyennes, le modèle de développement économique de la Chine basé sur l’autocratie risque bien d’apparaitre plus attrayant encore.

Et le réseau n’aidera pas

Alors que les deux structures hiérarchiques traditionnelles – les gouvernements et les entreprises – se battent pour la domination, le réseau ajoute de la complexité. Si le pouvoir au peuple peut signifier la fin de l’autocratie dans les dictatures, dans les démocraties la liberté du peuple de former des associations conduit à la formation de groupes d’intérêt divers. Nous voulons cette liberté qui permet à 37 groupes de protection de la Côte du Golfe [ndlr: du Mexique] et 520 groupes pour l’alphabétisation des enfants d’exister, ce pluralisme signifie en réalité fragmentation, puisque l’argent et l’assistance sont divisés dans des unités infiniment plus petites et forcément moins puissantes.

Dans un État avec quelques organisations hiérarchiques de lobbying comme l’AARP (pour les personnes âgées aux US) et le Sierra Club (organisation environnementale), les membres du gouvernement espèrent s’engager avec ces groupes de façon utile. Mais avec l’émergence du réseau et de l’accessibilité des outils de publication, de donation, et de mobilisation, la fragmentation ne fait que s’accélérer. La volatilisation des grandes organisations engendre plus de groupes de citoyens, plus de campagnes, plus de revendications, plus de pétitions en ligne, et toujours plus d’emails. Même un homme politique consciencieux ne dispose que d’une attention et d’un temps extrêmement limités. Et compte tenu de l’intensité des demandes des citoyens, ils auront tendance à se concentrer sur les intérêts de ceux qui peuvent leur donner l’argent dont ils ont besoin pour se faire élire, renforçant ainsi involontairement les intérêts de ceux qui ont de l’argent.

Et bien sur, le pluralisme sera aussi assujetti à une étiquette de prix, chaque groupe demandant son dû pour telle subvention ou tel programme gouvernemental, mettant ainsi une pression économique supplémentaire sur l’État..

Et ensuite ?

L’État démocratique moderne fait face à une double menace : les déficits fiscaux et le surplus d’information. Il est ainsi soumis à une pression extrêmement forte, de la part des intérêts des hiérarchies traditionnelles ainsi que de la part des campagnes en lignes. Et alors que la crise à court terme est avant tout fiscale, elle concerne à long terme la gestion de l’abondance d’information et de voix citoyennes.

De nouvelles institutions seront nécessaires pour faire face aux demandes des citoyens. Mais déjà les capacités financières des États se réduisent à mesure que la capacité des citoyens de se faire entendre augmente.

Le théoricien biologiste Stuart Kaufman parle d’un “possible adjacent”, qui est déjà à un stade plus loin que le présent. Aujourd’hui il semble – du moins aux États-Unis – que les forces hiérarchiques des entreprises soient plus fortes que les gouvernements et que les groupes citoyens, fragmentés. Du coup, la résolution des problèmes existentiels des démocraties Occidentales sera dans la diminution du pouvoir et des ressources financières de l’État, qui aboutira à une augmentation du fossé entre une minorité de riches et la masse de pauvres, renvoyant ces riches nations à l’état de pays en développement. De fait, un “possible adjacent” dans lequel les peuples des démocraties Occidentales seraient en mesure d’exploiter la puissance du réseau et de parler d’une seule voix – comme l’ont fait récemment les Égyptiens – semble très improbable.

Mais même s’il semble que nous nous dirigions vers un état anémique avec des entreprises surpuissantes et une société civile fragmentée, cette voie là n’est pas non plus un avenir certain. Tout comme les états arabes post-coloniaux se sont retrouvés inadaptés face à des citoyens informés, connectés, et unis d’une seule voix, les citoyens Occidentaux peuvent aussi exiger que leurs dirigeants prennent des décisions financières pour l’intérêt général. Mais cela signifie aussi de changer le mode de vie occidental que nous ne pouvons plus nous permettre aujourd’hui. Cela implique des changements radicaux au niveau de chaque individu.

En tant que citoyens, nous pouvons maintenant élever nos voix plus efficacement que jamais, mais nous ne savons pas toujours quoi dire.


Cet article a été initialement publié sur Meta-Activism Project sous le titre : “Moderne State Under Attacks”

Crédit illustrations Michael Thompson (Freestylee)

Traduction Stanislas Jourdan & Pierre Alonso

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Les îles Bermudes, la planque à billets de Google http://owni.fr/2011/04/19/google-irlande-bermudes-evasion-fiscale/ http://owni.fr/2011/04/19/google-irlande-bermudes-evasion-fiscale/#comments Tue, 19 Apr 2011 13:55:46 +0000 Stanislas Jourdan & Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=57828 Depuis le mois d’octobre dernier, plusieurs enquêtes ont montré que Google avait créé des dispositifs juridiques lui permettant d’échapper à l’impôt à hauteur d’un milliard de dollars par an. En cause, plusieurs des filiales à l’étranger, notamment en Irlande, toutes fondées par Google.

À Dublin, OWNI a recueilli près de 90 pages de statuts et de procès-verbaux des sociétés fondées par les heureux actionnaires du moteur de recherche. Deux d’entre-elles, Google Europe et Google Ireland Holdings, servent à recueillir les bénéfices générées grâce aux internautes européens pour ensuite transférer les fonds vers les comptes d’une filiale installée dans un paradis fiscal, l’archipel des Bermudes. Comme le montre l’extrait ci-dessous, ces structures dépendent de directeurs du groupe spécialement affectés aux opérations de défiscalisations en direction des Bermudes.

En termes pratiques, quand un internaute français, anglais ou allemand achète des services à Google – en particulier Adwords ou Adsense – sa carte est débitée vers un compte en banque à Dublin. Puis une partie de la marge nette dégagée par Google disparaît dans les Bermudes, par l’intermédiaire d’une holding basée aux Pays-Bas.

À Paris, nous avons interrogé la porte-parole de Google sur la moralité de ces montages juridiques – que l’on rencontre plus fréquemment dans l’industrie du tabac ou de l’armement. Mais Anne-Gabrielle Dauba Pantanacce nous affirme :

Je n’ai pas de détails à partager avec vous là-dessus

L’existence de Google Bermudes est un sujet en soi. Les documents mentionnent un siège social dans la ville d’Hamilton, à Clarendon House, au croisement de Church Street et de la route de Par-la-Ville.

Church Street, centre ville de Hamilton

À cette adresse, Google Bermudes consiste en réalité en une boite postale tenue par une société spécialisée en montages off-shore : Conyers Dill & Pearman. Un cabinet rassemblant plusieurs avocats d’affaires locaux travaillant dans ce paradis fiscal pour le compte de multinationales.

C’est ce cabinet qui administre Google Bermuda Limited, remplacé en 2006 par Google Bermuda Unlimited. Cette modification du statut est d’ailleurs loin d’être anecdotique : cette forme juridique plus récente permet d’échapper à l’obligation de publier les comptes.

Au sein du cabinet Conyers Dill & Pearman, nous nous sommes entretenus avec Lorina Taylor, l’une des consultantes chargée de Google aux Bermudes. Après avoir confirmée que le cabinet administrait bien les entités Google dans l’archipel, l’un de ses supérieurs a coupé court à nos demandes :

Nous ne communiquons aucune information relative à notre client.

Alors que Google emploie près de 1 800 personnes en Irlande, sa succursale aux Bermudes qui reçoit les revenus des internautes européens n’emploierait pas un seul salarié maison. Et, comble de l’ironie : Google Bermudes n’existe même pas sur Internet, la firme multimilliardaire n’ayant pas daigné débourser 89 dollars dans l’acquisition du nom de domaine google.bm …


Photos flickr CC Loco Russo ; John Dawson

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Propriété intellectuelle et évasion fiscale http://owni.fr/2010/01/29/propriete-intellectuelle-et-evasion-fiscale/ http://owni.fr/2010/01/29/propriete-intellectuelle-et-evasion-fiscale/#comments Fri, 29 Jan 2010 17:32:43 +0000 Philippe Quéau http://owni.fr/?p=7398 GVEL_east_gaussave_111km_moll_small1Il y a un angle fort peu traité (publiquement) en matière de propriété intellectuelle, c’est celui de son rapport avec l’évasion et la fraude fiscales. Voici quelques faits éloquents à ce sujet. Selon l’OCDE plus de 60% du commerce international se fait entre des filiales d’un même groupe basées dans des pays différents. Il est donc extrêmement facile et tentant de manipuler les « prix de transferts » d’actifs vendus par des filiales de pays à fiscalité « normale » vers des filiales du même groupe enregistrées dans des pays à fiscalité très faible, voire inexistante. Les actifs ainsi cédés échappent du même coup à tout impôt.

Parmi les actifs utilisés à cette fin (l’évasion fiscale à grande échelle), ce sont les biens immatériels qui sont les plus faciles à manipuler, et notamment les brevets, les logiciels « propriétaires », et toutes les formes d’acquis immatériels pour lesquels n’existent aucun prix de marché — et pour cause: ils sont développés par les entreprises précisément pour servir de véhicule à la fraude et à l’évasion fiscales. Selon Le Monde daté du 28 janvier 2010, le Congrès des Etats-Unis a chiffré à 100 milliars de dollars annuels la perte fiscale due à l’évasion de ces « actifs » vers les paradis fiscaux, évasion dont une très grande part est liée à la manipulation des « prix de transferts ».

Cette « criminalité extraordinairement complexe à détecter et à poursuivre » (selon Mme Eva Joly, eurodéputée écologiste) ne cesse de prendre de l’ampleur. On estime ainsi qu’en France les grandes entreprises ne paient qu’environ 10% d’impôts sur leurs bénéfices, en moyenne, alors que les PME, qui ne bénéficient pas des mêmes relais paradisiaques, en paient 30%.

On voit donc à quel point la manipulation, l’évasion et la fraude sont généralisées, en toute impunité apparente, pour ceux qui savent exploiter à grande échelle les failles systémiques des Etats.

Il y aurait bien sûr des débuts de solutions, si la volonté politique était là. Par exemple, on pourrait durcir considérablement les règles de la vente d’actifs relevant de la « propriété immatérielle » entre filiales, sous quelque forme que ce soit.

Plus profondément, on pourrait s’attaquer au dossier encore plus stratégique de la définition même de la notion de « propriété intellectuelle », et de la perversion dont cette notion ne cesse de faire l’objet. Au moment où les parlementaires de divers pays, censés défendre « l’intérêt général », ne cessent d’octroyer, au dépens de ce qu’on pourrait appeler le « domaine public des informations et des savoirs », de nouveaux droits de propriété sur des entités qui semblaient hors d’atteinte de toute privatisation (comme les données brutes, les faits, les idées, les algorithmes, les méthodes de « business », etc.), il serait utile de poser la question de l’impact exact du renforcement actuel de la propriété intellectuelle sur l’évasion et la fraude fiscales.

De même que la criminalisation de la consommation d’alcool pendant la prohibition n’a fait que renforcer les maffias, de même l’extension continue de l’appropriation intellectuelle a comme effet collatéral de renforcer la fraude fiscale à l’échelle mondiale.

Le public, dont l’intérêt est bien mal défendu, se contente pour l’instant de rester sous-informé, manipulé et infantilisé.

» Article initialement publié sur Metaxu

» Image d’illustration en page d’accueil par 1suisse sur Flickr

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