OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La police contre les écoutes http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/ http://owni.fr/2012/12/06/la-police-contre-les-ecoutes/#comments Thu, 06 Dec 2012 16:07:41 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=127023

“C’est du délire, du délire !” Après les magistrats, les policiers haussent à nouveau le ton contre le futur système d’écoutes judiciaires. Dans leur ligne de mire : la main mise d’une entreprise privée, le géant Thales, sur des données extrêmement sensibles centralisées en un lieu.

La plateforme nationale des interceptions judiciaires (Pnij de son petit nom) devrait entrer en phase de test au premier semestre 2013, après plus de six ans dans des cartons scellés confidentiel-défense. Il est piloté par la délégation aux interceptions judiciaires, une structure du ministère de la Justice.

A l’Intérieur, tout le monde ne voit pas d’un bon œil une telle intrusion de la place Vendôme dans les enquêtes, comme l’a raconté Le Canard Enchaîné. Le géant français Thales a remporté l’appel d’offre en 2010, ce que les actuels prestataires ont contesté devant le tribunal administratif. Sans succès.

Dans le secret des écoutes

Dans le secret des écoutes

Une plateforme pour centraliser les écoutes, scruter le trafic Internet... Ce projet entouré de secret verra bientôt le ...

Des “réserves”

Dans quelques mois, le lien entre les officiers de police judiciaire et les opérateurs sera automatisé au sein de la PNIJ [Voir notre infographie]. Une réforme qui rassure fournisseurs d’accès à Internet et opérateurs de téléphonie, sujets à de fausses demandes de réquisitions. Mais la PNIJ stockera aussi le contenu des réquisitions. Impensables de confier des données aussi sensibles à une entreprise privée estiment de concert policiers et responsables nationaux de la cybersécurité.

Dans un courrier au secrétaire général du ministère de la justice daté de décembre 2011 qu’Owni a consulté, le directeur général de la police national d’alors, Frédéric Péchenard, se faisait l’écho de ces critiques. M. Péchenard écrit :

L’ANSSI [L’agence nationale en charge de la cybersécurite, NDLR] a émis des réserves sur l’infogérance et l’hébergement de la PNIJ par la société Thales.

Cette “fragilité” est aussi soulignée par “les services utilisateurs”, les policiers donc. Ils “s’interrogent sur la confidentialité du site d’Elancourt proposé par Thales et sur les mesures de sécurité qui seront prises, sachant que la PNIJ est une cible potentielle, du fait même de la concentration de données sensibles” indique Frédéric Péchenard dans son courrier.

Thales, gardien des clefs du temple

Au même moment, à l’automne 2011, un autre service s’est également “étonné” qu’un tel trésor atterrisse entre les mains d’une entreprise privée. La raison est un peu différente. Ce service parisien traitant de la délinquance financière craint que le gardien des clefs du temple, Thales, puisse avoir accès au contenu, les réquisitions et interceptions, ces “données sensibles” qu’évoquait pudiquement Frédéric Péchenard dans son courrier.

En creux, les craintes concernent l’étendue du pouvoir des administrateurs du système, des salariés de Thales qui auront accès à l’ensemble du système. Le projet prévoit pourtant que toutes les données soient chiffrées. En septembre, la délégation aux interceptions judiciaires évoquait devant Owni “un bunker sécurisé en béton armé”, certifié par les superflics de la DCRI (le FBI à la française). Insuffisant pour ses détracteurs : celui qui a créé le chiffrement pourrait le déchiffrer.

Le ministère de la Justice a-t-il pris en compte ces “réserves” ? Aujourd’hui, la délégation aux interceptions judiciaires “ne souhaitent pas répondre à nos question” arguant que “la relation de confiance” a été rompue avec la publication d’un document confidentiel-défense. Même son de cloche à l’ANSSI :

– Pas de commentaire.
- Pour quelle raison ?
- Pas de commentaire.

Nouvelle salve

Le nouveau gouvernement est décidé à poursuivre le projet. Selon nos informations, le cabinet du ministre de Manuel Valls l’a expliqué fin octobre lors d’une réunion consacrée à la PNIJ. La place Beauvau serait convaincue qu’il s’agit de la meilleure solution. Quitte à désavouer les futurs utilisateurs, consultés par les nouveaux grands chefs policiers.

La direction générale de la police nationale a demandé des rapports à plusieurs services dont la DCRI, la PJ et la préfecture de police de Paris, qui ont tiré une nouvelle salve de critiques. Remis au début de l’automne, les enquêteurs rappellent à nouveau le risque de concentrer en un seul lieu les données sensibles, évoquant le précédent WikiLeaks. A nouveau, ils rappellent le risque de les confier à une entreprise privée.

Thalès terre les écoutes

Thalès terre les écoutes

C'est sur son site d'Elancourt que Thalès, le géant de la défense française, garde précieusement la Plateforme nationale ...

Les services de police relèvent aussi que la PNIJ devra fonctionner 24h sur 24, 7 jours sur 7, sans souffrir de la moindre exception. La France ne compte que cinq systèmes avec de telles contraintes : la dissuasion nucléaire, la bourse, les réseaux électriques, la SNCF et l’aviation civile. Un défi technique, soulignent les policiers, que le personnel actuel ne pourra relever dimensionner ainsi en terme d’effectifs. Sauf bien sûr à recruter davantage ce qui augmenterait sensiblement l’ardoise, déjà salée.

Et encore, les coûts cachés sont nombreux. Le matériel qu’utilisent aujourd’hui les OPJ appartient aux quatre prestataires privés sous contrat avec l’Intérieur. Du matériel qu’il faudra renouveler. La PNIJ nécessitera aussi “une refonte totale du réseau national de transmission” écrivait Le Canard Enchaîné, citant “de grand chefs policiers”. Difficile d’obtenir une estimation du montant nécessaire, mais le ministère de l’Intérieur s’est dit conscient des coûts supplémentaires lors de la réunion de fin octobre.

Calembour

Un syndicat de police, Synergie Officiers (classé à droite) a pris la tête de la fronde contre la PNIJ, en interpelant par écrit le ministre de l’Intérieur [PDF]. Francis Nebot, le secrétaire national, redoute aujourd’hui de n’avoir pas été entendu. “Nous n’avons aucune information et sommes pourtant les premiers utilisateurs de la PNIJ” déplore-t-il.

Le système actuel ne fait pourtant pas l’unanimité, y compris au sein de la police. Certains proposent de garder le principe de la PNIJ pour des tâches de gestion. L’envoi des réquisitions passerait par la plateforme, mais le contenu serait directement renvoyé à l’officier traitant.

La plateforme ne contiendrait alors plus les précieuses “données sensibles”, sur lesquelles les policiers veulent garder la main mise exclusive, craignant une intervention de Thales, voire de l’exécutif. Ce qui a donné naissance à un calembour dans les services de police : “La PNIJ, c’est la plateforme de négation de l’indépendance de la justice”.


Photo par Misterbisson (cc-byncnsa) remixée par Owni /-)

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La carte d’un monde d’espions http://owni.fr/2011/12/01/spy-files-wikileaks/ http://owni.fr/2011/12/01/spy-files-wikileaks/#comments Thu, 01 Dec 2011 12:36:50 +0000 M.Boucharlat, M. Coussin, A.El Mansouri et N. Patte http://owni.fr/?p=88881 Depuis le mois de septembre dernier, OWNI, en partenariat avec WikiLeaks et cinq autres médias, a mis à jour les activités et les technologies des sociétés – souvent proches des services de renseignement et des institutions militaires – à l’origine de ce nouveau marché de l’interception massive. Pour une part très significative, ces industriels discrets sont implantés dans des démocraties occidentales. Ils fournissent en matériels d’écoutes et d’interception de masse leur propre gouvernement mais aussi de nombreuses dictatures.

Ces matériels appartiennent à cinq grandes catégories :

  • les systèmes de surveillance d’Internet (Internet monitoring),
  • les outils de pénétration ou chevaux de Troie (Trojan),
  • les systèmes d’écoutes téléphoniques (Phone monitoring),
  • les outils de captation et d’analyse de la voix (Speech analysis),
  • les systèmes d’interception des SMS (SMS monitoring),
  • et les outils de géolocalisation (GPS Tracking).

Les Spy Files sont diffusés par WikiLeaks à cette adresse.

Application pensée par Paule d’Atha, réalisée par Abdelilah el Mansouri au développement et Marion Boucharlat au graphisme /-)


Retrouvez notre dossier sur les Spy Files :

- La surveillance massive d’Internet révélée

- La surveillance massive d’Internet révélée

Retrouvez nos articles sur Amesys.

Retrouvez tous nos articles sur WikiLeaks et La véritable histoire de WikiLeaks, un ebook d’Olivier Tesquet paru chez OWNI Editions.


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La hotline des Guérini affole le PS http://owni.fr/2011/06/23/la-hotline-des-guerini-affole-le-ps/ http://owni.fr/2011/06/23/la-hotline-des-guerini-affole-le-ps/#comments Thu, 23 Jun 2011 15:13:29 +0000 Claire Berthelemy et George Kaplan http://owni.fr/?p=71360 L’ancien ministre socialiste de la défense Alain Richard remet aujourd’hui à Martine Aubry son rapport sur la fédération PS des Bouches-du-Rhône. Et sur les graves soupçons de dérives clientélistes qui visent les élus locaux de Marseille et de sa région. Jusqu’à présent, de nombreux responsables parisiens ont défendu Jean-Noël Guérini, le tout-puissant président socialiste du Conseil général des Bouches-du-Rhône.

Mais au Tribunal de grande instance de Marseille, le juge Charles Duchaine rassemble de plus en plus d’éléments compromettants pour Jean-Noël Guérini. Dans le cadre d’une procédure instruite contre son frère, Alexandre Guérini, poursuivi pour corruption, trafic d’influences, détournements de fonds publics et escroqueries en bande organisée.

En un peu plus d’un mois, les gendarmes, sur commission rogatoire du juge, ont multiplié les perquisitions. Dès le 2 mai chez 13 Développement, société d’économie mixte oeuvrant pour le Conseil général et le lendemain au sein même du Conseil général – de nouveau perquisitionné le 17 juin.

Le 3 mai, alors que la commission présidée par l’ancien ministre Alain Richard auditionnait élus et militants du PS local sur le fonctionnement de la fédération, les gendarmes se sont rendus chez 13 Habitat. Le plus gros propriétaire d’appartements HLM de la ville, avec 30.000 logements, soit deux fois plus qu’HMP, autre bailleur marseillais. Un office HLM dans lequel Jean-Noël Guérini et son père ont travaillé. Ce matin, c’est Jean-François Noyes, ex-président de 13 Habitat, qui est à nouveau entendu dans les locaux de la gendarmerie. Administrée par des proches de Jean-Noël Guérini, 13 Habitat a largement alimenté de curieux copinages, organisés par le frère, Alexandre Guérini.

En témoigne le script de conversations téléphoniques au sujet de l’attribution de logements à quelques personnalités marseillaises, écoutées par les gendarmes. On y découvre Alexandre Guérini donnant ses ordres à Jean-François Noyes, président jusqu’en avril dernier de 13 Habitat (autrefois appelé OPAC-Sud), et son assistante Antoinette Camiglieri. Comme le montre le procès-verbal ci-dessous.

Compte-rendu d’enquête

Dans cette écoute téléphonique interceptée le 4 mai 2009, Alexandre Guérini insiste pour que l’un de ses protégés habite dans le 4ème ou le 5ème arrondissement. Soit le 3ème secteur de Marseille, là où s’est jouée la campagne des municipales de 2008, que son frère Jean-Noël a perdu d’un cheveu face à Jean-Claude Gaudin – 49 sièges au conseil municipal pour les socialistes et 51 pour la majorité UMP.

Devant les enquêteurs, Jean-François Noyes, auditionné en qualité de témoin, a répété les affirmations qu’il tenait dans cette conversation sur la façon dont il a été nommé à la tête de l’institution. C’est Alexandre Guérini, a-t-il concédé, qui a recommandé à son frère Jean-Noël de le nommer. Quant à la dénommée Castagliotti, dont l’octroi d’un T3 est envisagé, il s’agit de la fille de Bernard Barresi, comme l’avait révélé Bakchich en décembre dernier. Fiché au grand banditisme, ce dernier est au croisement de deux affaires : celle des marchés truqués des Bouches-du-Rhône, mais aussi celle des marchés frauduleux de Haute-Corse, toutes deux instruites par le juge Duchaine. Bernard Barresi dort depuis juin 2010 à la prison de Luynes, près d’Aix, après 18 ans de cavale.

Et la liste des bénéficiaires du duo Alexandre Guérini/Antoinette Camiglieri ne s’arrête pas à ces deux seuls noms. Lors de son audition le 29 novembre 2010 à la section de la gendarmerie de Marseille, l’assistante de Jean-François Noyes essaie d’expliquer qu’elle n’en savait rien :

Question : connaissez-vous les nommés [...] COSTAGLIOTI, [...] ROUZAUD Antoine, [...] BARRESI, [...] NARDUCCI, [...]
Réponse : Tous ces noms ne me disent rien, sauf ceux des conseillers généraux Mme NARDUCCI, M. ROUZAUD Antoine.
Question : selon nos informations vous avez attribué des logements à ces personnes au cours de l’année 2009 en relation avec GUERINI Alexandre. Qu’avez-vous à dire ?
Réponse : C’est possible, je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui attribue. Je n’en sais rien, je suis l’intermédiaire. [...]

Parmi les heureux élus donc, Antoine Rouzaud, vice-président de la fédération PS 13, administrateur de 13 Habitat et adjoint de la communauté urbaine chargé des déchets. Conseiller général sortant, il a été battu aux cantonales de mars dernier dès le premier tour, après une campagne acerbe de l’UMP sur “les affaires”.

Autre nom cité, celui de Lisette Narducci. Elle est maire de secteur et conseillère générale du Panier, fief politique historique de Jean-Noël Guérini. Figure aussi Patrick Rué, n°2 de Force Ouvrière, syndicat ultra-majoritaire à la ville et à la communauté urbaine de Marseille.

Pour les services rendus, les gendarmes soupçonnent Alexandre Guérini d’avoir appuyé une augmentation du salaire d’Antoinette Camiglieri. Aux enquêteurs, cette dernière a admis avoir “fait recruter” son mari, et sa fille et sa soeur :

Question : Avez-vous eu des augmentations récemment ?
Réponse : j’ai été augmentée l’année passée. J’ai pris 30 points. Je suis cadre et c’est normal. C’est ESCALLE Bernard qui me les a octroyés [NDLR : directeur de l'office].
Question : Pourquoi GUERINI Alexandre a-t-il expressément demandé, en mars 2009, à NOYES Jean-François que vous soyez augmentée ?
Réponse : je ne sais pas. je l’ignore. je ne lui ai pas demandé d’intervenir.
[...]
Question : Avez- vous fait recruter des membres de votre famille avec l’aide de GUERINI Alexandre ?
Réponse : j’ai fait recruter mon mari, Jacques, par M. GUENOD qui était à l’époque directeur général comme responsable du patrimoine. [...] Ma fille Anne-Laure est également embauchée comme assistante à 13 Habitat. Elle a été recrutée par M. COZZI il y a plusieurs années. Ma soeur O. Rose a été recrutée par M. ESCALLE ou M. GUENOD. [...]

Pourtant, Jean-Noël Guérini précisait en décembre 2010 :

Je ne suis concerné ni de près, ni de loin par les affaires et les entreprises de mon frère.


Illustration FlickR Paternité par sophie roques

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Berlusconi veut couper les “grandes oreilles” de la Justice http://owni.fr/2011/03/21/berlusconi-ecoutes-justice-rubygate/ http://owni.fr/2011/03/21/berlusconi-ecoutes-justice-rubygate/#comments Mon, 21 Mar 2011 10:35:26 +0000 Pascal Bories http://owni.fr/?p=52400 C’est officiel : Silvio Berlusconi n’a plus de téléphone portable. Le 28 février dernier, il s’en expliquait lors d’un meeting de son parti, le Peuple de la Liberté :

Sachez que votre premier ministre n’a plus le moindre mobile parce qu’il est sujet à toutes sortes d’écoutes. […] Tout le monde considère comme une atteinte à la liberté le fait de ne pas pouvoir parler librement au téléphone. C’est pourquoi j’ai régressé dans le temps et n’utilise plus de mobile.

Au passage, il se désignait lui-même, avec la mesure qui le caractérise, comme “l’homme politique le plus persécuté de l’histoire”.

La veille, dans une conférence à Milan, il avait rappelé sa conviction qu’une nouvelle loi sur les écoutes téléphoniques était nécessaire, qualifiant de “pratiques barbares qui doivent cesser” les violations de la vie privée de citoyens ne faisant parfois même pas l’objet de poursuites.

Il faut dire que ce maudit mobile – dont il avait pourtant bien du mal à se séparer – risque aujourd’hui de lui coûter une lourde condamnation pour relations sexuelles avec une prostituée mineure. La fameuse affaire du “Rubygate” repose en effet sur un dossier d’environ 700 pages, constitué en grande partie de retranscriptions d’écoutes téléphoniques et de SMS interceptés par la police judiciaire.

Instrument du Rubygate

Cristina Di Censo, la juge des enquêtes préliminaires à laquelle le parquet de Milan avait transmis ces documents, a confirmé le 15 février leur caractère de “preuves évidentes”, l’autorisant à faire comparaître le Président du Conseil devant un tribunal ordinaire selon une procédure accélérée. La première audience du procès aura donc lieu le 6 avril. Et son issue pourrait coûter cher à un homme simultanément poursuivi dans trois autres affaires, bien qu’il ait jusqu’à présent échappé à toute condamnation effective malgré de nombreuses inculpations.

En attendant, les Italiens ont déjà pu se délecter copieusement de nombreux extraits de ces écoutes, publiés par les grands journaux de gauche italiens et souvent relayés par la presse internationale. Sur le web, de facétieux activistes ont même créé le site Bungle Bungle, (contraction de “Google” et de “bunga bunga“), un moteur de recherche donnant accès à tous les échanges téléphoniques rendus publics dans l’affaire Ruby.

Car plusieurs des jeunes femmes présentes aux “parties fines” (sic) organisées par Silvio dans ses luxueuses villas, dont au moins deux étaient mineures au moment des faits, avaient été mises sur écoute par la justice. C’est d’ailleurs la localisation de leurs téléphones portables qui avait permis de savoir qu’elles y participaient. Leurs conversations et leurs SMS décrivent des orgies sexuelles dont Berlusconi était parfois le seul protagoniste de sexe masculin. Ces retranscriptions mettent aussi en lumière la rivalité qui régnait entre elles, et les encouragements éhontés de leurs propres familles.

Si le président du Conseil persiste à affirmer qu’il n’a “jamais payé pour des rapports avec une femme”, des écoutes datant d’il y a plusieurs années suffisaient déjà à en douter sérieusement. En 2008 et 2009, il avait eu avec l’escort-girl Patrizia D’Addario des rapports intimes tarifés, agrémentés d’onéreux cadeaux.

La bataille des chiffres

On comprend mieux, dès lors, pourquoi Silvio Berlusconi se plaint tant des interceptions de communications téléphoniques par la police judiciaire. Comme les socialistes avant lui, ses gouvernements successifs n’ont eu de cesse de proposer des lois visant à en restreindre l’usage et la divulgation, sans jamais qu’aucune ne parvienne à entrer en vigueur.

Le dernier projet en date a été approuvé par le Sénat en juin dernier, non sans avoir subi quelques modifications suite aux reproches formulés par l’OSCE et le Parlement européen. Des journalistes et une partie de l’opinion s’y étaient également opposés vigoureusement. Mais face à ces critiques, Berlusconi avait alors déclaré que jusqu’à 10 millions de personnes pouvaient être écoutées à leur insu dans son pays, ajoutant :

Le problème est grave, nous sommes tous espionnés.

Un mois plus tard, le journal Il Fatto Quotidiano publiait “les vrais chiffres des interceptions” fournis par le Ministère de la Justice : moins de 40.000 personnes écoutées par an, soit 0,7% de la population totale de l’Italie, qui compte 60 millions d’habitants. L’article précisait en outre que 80% de ces écoutes étaient relatives à des crimes mafieux. Un chiffre non négligeable, tant les Italiens savent ce qu’ils doivent à ce système d’investigation aussi efficace qu’intrusif.

Baptisée Mani Pulite (“Mains Propres”), la vaste opération initiée en 1992 par le juge Antonio Di Pietro avait permis de faire tomber les dirigeants corrompus des grands partis de l’époque : Démocratie Chrétienne (DC) et Parti Socialiste Italien (PSI). Le recours aux écoutes téléphoniques avait été décisif pour révéler les liens entre la mafia et les hommes politiques qui se partageaient le pouvoir depuis des décennies.

Il aurait dû s’agir d’un choc salutaire pour le système italien. Mais c’est justement au terme de cette opération que Silvio Berlusconi, profitant des élections anticipées de 1994, avait remporté sa première victoire électorale. A peine nommé Premier Ministre, il faisait à son tour l’objet d’enquêtes judiciaires, notamment fondées sur des interceptions de communications privées.

Réforme constitutionnelle

Depuis, ses innombrables frasques ont régulièrement alimenté la presse en retranscriptions d’écoutes de ministres, de collaborateurs ou de femmes qu’il a fréquentées. C’est sur ces fuites incessantes de documents censés être à l’usage exclusif de la Justice que le Cavaliere a fondé l’idée de sa persécution par de soi-disant  “juges rouges”, avec la complicité de la presse.

Alors que son projet de réforme constitutionnelle a été adopté le 10 mars en Conseil des ministres, Silvio Berlusconi et son ministre de la Justice Angelino Alfano se disent désormais prêts à présenter devant l’Assemblée un texte spécifiquement destiné à encadrer les écoutes téléphoniques. Celui-ci prévoit de limiter l’écoute d’un individu à 75 jours et de n’y recourir qu’en cas de “graves indices de crime” dans les affaires de droit commun, et en cas d’“indices suffisants” dans les affaires de terrorisme ou de crime organisé.

De plus, la réforme entend soumettre l’action pénale “obligatoire” du Parquet à des “critères établis par la loi”, tout comme il ne pourrait disposer de la police judiciaire que “selon des modalités établies par la loi”. Autrement dit, selon Antonio di Pietro, aujourd’hui leader du parti d’opposition l’Italie des Valeurs :

Le parlement devra décider quels sont les crimes sur lesquels les juges peuvent enquêter… Donc on ne pourra pas mener une enquête sur tous les crimes, mais seulement ceux sur lesquels il y aura un consensus des députés. Et devinez de quel côté seront ces députés ?

Enfin, si la réforme était adoptée, les Procureurs deviendraient “directement responsables des actes accomplis en violation des droits“. Traduction : une écoute téléphonique ne débouchant par sur une condamnation pourrait leur coûter d’importants dommages et intérêts. Et s’ils souhaitaient faire appel de la décision d’acquittement ? Impossible, car ils ne pourraient plus faire appel qu’en cas de condamnation de l’accusé.

La mafia décimée

La presse, seul autre contre-pouvoir à un exécutif englué dans les affaires et à un législateur corrompu, s’estime également menacée. Selon Giuseppe Giulietti, porte-parole d’Articolo 21, une association pour la liberté de l’information, le projet de loi sur les interceptions téléphoniques vise à “introduire une censure, un contrôle de l’information servant seulement le consensus”. Car le texte sur les écoutes prévoit aussi de lourdes sanctions contre les médias divulguant des retranscriptions.

Pendant ce temps, l’actualité italienne n’en finit plus de donner de bonnes raisons aux Italiens de s’insurger contre de telles tentatives de restriction du pouvoir des juges, et de leur recours aux écoutes. La ‘Ndrangheta, l’une des organisations mafieuses les plus redoutées au monde, vient d’être décimée par la police grâce à l’interception de conversations téléphoniques entre Giuseppe Commisso, surnommé “le maître”, et ses lieutenants. Bilan : 41 arrestations.

Heureusement, il reste peu probable que le projet de réforme constitutionnelle de la Justice italienne soit adopté en l’état rapidement. Deux navettes parlementaires avec une majorité des deux tiers de chaque chambre seraient nécessaires à son adoption, sans quoi il devrait faire l’objet d’un référendum. Mais dans ce dernier cas, tout reste possible, tant la désinformation est une arme dont use mieux que quiconque Berlusconi, le magnat des médias “sans portable fixe”.

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Crédits photo: No Mas, paride de carlo, Sergio Maistrello, Niccolo Caranti

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FaDet: la justice est moins importante que le fisc http://owni.fr/2010/12/23/fadet-la-justice-est-moins-importante-que-le-fisc/ http://owni.fr/2010/12/23/fadet-la-justice-est-moins-importante-que-le-fisc/#comments Thu, 23 Dec 2010 07:30:33 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=39885 Le Canard Enchaîné révélait récemment que le fisc et le gendarme de la Bourse se gavaient eux aussi de factures détaillées. OWNI.fr avait d’ailleurs publié les documents prouvant les révélations du Canard Enchaîné, et expliqué comment le fisc, via un “cavalier parlementaire” (disposition sans rapport avec le projet auquel il se rattache) adopté lors de la loi de finances rectificatives (LFR) de 2008, s’était arrogé un tel droit de communication aux détails de nos télécommunications.

Le 9 décembre dernier, profitant de la loi de finances rectificatives pour 2010, le député UMP Lionel Tardy a défendu un amendement, cosigné par 13 autres députés UMP, visant à n’autoriser le fisc à accéder aux factures détaillées qu’”après accord du juge“, au motif qu’en l’état, “cette demande se fait sans le moindre contrôle de la nécessité et sans justification des services fiscaux, alors qu’il s’agit de données personnelles” :

Il convient donc d’encadrer cette pratique, afin qu’un tiers extérieur contrôle la nécessité de porter atteinte de cette manière à un élément important de la vie privée. La lutte contre la fraude fiscale est importante, mais ne doit pas générer des atteintes injustifiées à la protection de la vie privée.

En séance, Lionel Tardy attira l’attention de l’Assemblée “sur le fait qu’un certain nombre de dispositions figurant dans divers codes risquent fortement la censure constitutionnelle par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC, ndlr). Il serait sans doute bon que nous nous penchions davantage sur ces fragilités de notre droit afin d’y porter remède spontanément, sans attendre la censure” :

L’article L. 96 G du livre des procédures fiscales permet aux agents de l’administration fiscale de réclamer directement aux opérateurs de téléphonie les factures détaillées de leurs clients. Cette demande se fait sans le moindre contrôle et sans justification des services fiscaux. Ce pouvoir de l’administration est manifestement excessif et porte atteinte à un certain nombre de libertés, au premier rang desquelles figure la vie privée.

Si nous ne faisons rien, une question prioritaire de constitutionnalité finira bien par être posée par une personne qui contestera l’utilisation que l’administration fiscale fait de ces factures détaillées. Je propose donc de maintenir pour l’administration la possibilité de demander des factures détaillées, mais en y mettant le filtre du juge.

La réponse de François Baroin, ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique, de la Réforme de l’État, et porte-parole du Gouvernement, fut cinglante : “Il ne faut pas tout confondre, monsieur Tardy : d’une part, les sujets d’actualité qui agitent tel ou tel média à propos de l’exploitation des factures détaillées et, d’autre part, la stricte application du droit pour permettre à l’administration fiscale d’exercer ses missions régaliennes” :

Quand l’administration fiscale obtient des résultats, tout le monde se porte mieux et tout cela est bien accepté. La situation est encadrée, aucune question ne se pose : l’article L. 96 G du livre des procédures fiscales permet de vérifier divers éléments déclaratifs du contribuable.

Les agents au service de l’État, des hommes et des femmes rigoureux, appliquent le droit, pas simplement pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, mais pour faire respecter ce juste équilibre entre le caractère déclaratif, l’effort de contribution pour participer au financement du bien public et le nécessaire contrôle, car il n’y a pas de confiance sans contrôle. Je crois, monsieur Tardy, que vous êtes allé un peu loin dans votre élan.

Et l’amendement fut rejeté. Dit autrement, pour le gouvernement, le contrôle, par la justice, d’une atteinte aux libertés, est moins importante qu’un contrôle fiscal. L’échange, en vidéo, suivi de l’interview qu’il a bien voulu nous accorder :

OWNI : Pourquoi pensez-vous que l’article L.96G du livre des procédures fiscales puisse être déclaré anticonstitutionnel ?

Lionel Tardy : Cet article permet à l’administration fiscale de récupérer, sur simple demande, les factures téléphoniques détaillées. C’est une atteinte manifeste au droit à la vie privée, constitutionnellement protégé.

Le Conseil constitutionnel admet que l’on puisse porter atteinte à des droits constitutionnels, si c’est pour en faire valoir d’autres. Il passe en fait son temps à concilier l’exercice de droits constitutionnels.

Dans notre cas, face au respect de la vie privée, on trouve l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude.

Les factures téléphoniques détaillées peuvent être très utiles pour lutter contre la fraude fiscale, notamment en ce qui concerne l’évasion fiscale et les domiciliations fiscales à l’étranger. Le problème n’est donc pas la possibilité de l’accès aux factures détaillées pour les services fiscaux, mais les conditions de cet accès.

La faiblesse que j’ai soulignée, c’est l’absence totale de contrôle de la légitimité et de la justification des demandes de l’administration fiscale. Actuellement, le fisc demande ce qu’il veut, sans passer par aucun filtre et sans justifier sa demande. Mon amendement soulevait la question en proposant d’instaurer un contrôle de la justification des demandes de l’administration fiscale.

À mon avis, mais je peux me tromper, il y a un déséquilibre qui pourrait être sanctionné par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, où un contribuable condamné pour fraude fiscale contesterait la validité de la preuve basée sur l’analyse de ses factures téléphoniques.

OWNI : Le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi de cet article, lors de la saisine parlementaire de la loi de finances rectificatives de 2008 : votre proposition d’amendement correspond-elle à une prise de conscience des atteintes grandissantes à la vie privée, et/ou au fait que personne n’en avait à l’époque mesuré la portée ?

Lionel Tardy : À mon avis, personne n’avait vu le problème en 2008. Les lois de finances rectificatives sont remplies de petites dispositions, et malheureusement, les députés survolent cela, puisque l’examen de la LFR a lieu mi-décembre. Cette année, pour la dernière séance d’examen des amendements, il n’y avait qu’un seul député d’opposition présent, Pierre-Alain Muet, rejoint vers 23 heures par Jean-Pierre Brard. C’est l’idéal pour que le gouvernement fasse passer ce qu’il veut.

OWNI : En prononçant un avis défavorable à votre amendement, François Baroin a déclaré qu’“il n’y a pas de confiance sans contrôle”, mais il parlait de contrôle fiscal, pas du contrôle d’un juge… Comment expliquez-vous que le gouvernement autorise le fisc à se permettre quelque chose que la police ne peut pas se permettre ?

Lionel Tardy : Le ministre a lu la réponse que lui a écrit son administration ! Évidemment que le fisc n’est pas favorable à ce qu’on limite son pouvoir et sa capacité à demander des factures téléphoniques détaillées. La protection de la vie privée n’est pas de son ressort, c’est même sans doute un obstacle aux contrôles.

C’est à nous, politiques, d’avoir une vision globale d’un sujet et de réaliser les équilibres entre des demandes contradictoires. Malheureusement, une fois de plus, un ministre s’est transformé en porte-parole des intérêts de son département ministériel. Et comme l’avis du ministre a un poids important sur les votes…

OWNI : Que pensez-vous de l’analyse du Canard Enchaîné, pour qui les textes de lois avancés par l’administration fiscale pour accéder aux FaDet ne sont qu’une manière illégale de contourner la loi sur les écoutes ?

Je n’irais pas jusque-là. Les FaDet ne permettent pas d’avoir accès au contenu des conversations. On a juste la date, l’heure, la durée, le numéro appelé, et éventuellement la localisation. Certes, c’est déjà une intrusion dans la vie privée des gens, mais ce n’est pas à mettre sur le même plan que les écoutes téléphoniques.

OWNI : Votre amendement n’a été cosigné que par des députés UMP : était-ce volontaire de votre part, ou bien parce que les députés socialistes ne vous suivent pas sur ce terrain ?

Lionel Tardy : Je n’ai pas soumis cet amendement à la cosignature des députés d’opposition. C’est d’ailleurs très rare que je le fasse, et à l’inverse, c’est aussi très rare que des députés d’opposition demandent à des députés de la majorité de cosigner leurs amendements.

Je pense que les députés socialistes peuvent me suivre, mais lors du débat en séance sur cet amendement, il n’y en avait qu’un dans l’hémicycle ! Il ne pouvait pas réagir sur tout.

Je n’abandonne pas le sujet. Cet amendement était une sorte de sonde lancée, pour alerter, mettre le sujet sur la table, et plus globalement, attirer l’attention sur la nécessité de vérifier la solidité constitutionnelle des lois. La QPC a commencé à faire des ravages, il faudrait peut-être s’en préoccuper en amont, plutôt que d’attendre les censures du Conseil constitutionnel.

NB : Lionel Tardy fait partie des trois députés UMP qui se sont abstenus de voter pour la Loppsi 2, une position qui “exprime mon scepticisme et mes réserves sur le durcissement répressif, sur les coups de canif régulièrement portés aux libertés publiques, sous la pression de certains élus UMP dont je désapprouve clairement les positions sécuritaires ! Je suis un libéral, économiquement, mais aussi politiquement. J’ai exprimé, sur différents textes (notamment le projet de loi sur l’immigration) mon attachement au respect des libertés publiques.”

Illustration : Telephone CC HEFU

Image de une : Louison pour OWNI (CC)

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De la surveillance des FaDet à celle de l’internet http://owni.fr/2010/12/14/de-la-surveillance-des-fadet-a-celle-de-linternet/ http://owni.fr/2010/12/14/de-la-surveillance-des-fadet-a-celle-de-linternet/#comments Tue, 14 Dec 2010 18:04:20 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=39206 Le fisc et le gendarme de la Bourse se gavent aussi de “fadettes”“, titrait, en “une, le Canard Enchaîné, ce mercredi 8 décembre :

Les contre-espions de la Direction centrale du renseignement intérieur ont fait des émules. Les agents du fisc et de l’Autorité des marchés financiers (l’AMF, surnommée “le gendarme de la Bourse“) ont pris, eux aussi, l’habitude de consulter les factures détaillées de téléphone (les fadettes) de qui leur chante, quand bon leur semble, et en dehors de tout contrôle.

Les inspecteurs du fisc et de l’AMF farfouillent si souvent chez les opérateurs téléphoniques que des formulaires tout prêts, dont “Le Canard” détient quelques spécimens, ont été édités.

Ces documents, OWNI les a reçu aussi (voir plus bas). C’est d’ailleurs aussi ce pour quoi nous avons lancé notre petit WikiLeaks maison, afin de permettre aux gens de pouvoir nous contacter, et nous faire parvenir des documents, de façon anonyme, et sécurisée.

Retour aux sources

Et pour inaugurer un outil spécialement dédié à la protection des sources, quoi de mieux qu’un document révélant comment certaines autorités tentent de contourner la loi pour pouvoir espionner, sans contrôler judiciaire, qui parle avec qui, quand, pendant combien de temps ?

Les contrôleurs du fisc justifient leurs demandes de FaDet en se reposant sur le droit de communication, qui leur permet d’”exiger du contribuable concerné ou d’un tiers (employeur, banque, …) documents et informations pour les besoins du contrôle fiscal engagé“.

Problème : ce “droit de communication“, prévu par l’article L81 du Livre des procédures fiscales, ne concerne qu’un certain nombre de personnes physiques ou morales (employeurs, administrations publiques, sociétés d’auteurs, etc.), mais nullement les opérateurs de télécommunications.

Le problème est d’autant plus complexe que, et comme le souligne le Canard Enchaîné, la loi de 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques et “qui encadre les écoutes téléphoniques et protège également les fadettes des abonnés contre les regards indiscrets interdit précisément de se livrer à ce genre d’exercice” :

Ce texte n’offre que deux possibilités aux administrations qui souhaitent éplucher les conversations téléphoniques privées : obtenir l’autorisation d’un juge ou demander la permission à la Commission de contrôle des interceptions de sécurité. Tout le reste est illégal.


Illégal… mais écrit noir sur blanc dans le Livre des procédures fiscales. Pour contourner cette interdiction, la direction générale des impôts a en effet profité des attentats du 11 septembre 2001. A l’époque, de nombreux médias (dont Libération, Le Monde, France Info…) avaient en effet relayé une information du quotidien USA Today qui, se basant sur des témoignages émanant des services de renseignement américains, avançait que les terroristes avaient communiqué entre eux en cachant des messages secrets dans des… photos pornos, diffusées sur l’internet (voir Terrorisme : les dessous de la filière porno ).

Aussi incongrue que puisse être l’idée même que des musulmans intégristes puissent ne serait-ce que porter leurs yeux sur des photos pornos (Jack Kelley, le journaliste d’USA Today à l’origine de la fausse info, fut ensuite viré de son boulot, après que l’on ait découvert qu’il avait bidonné nombre de ses papiers), l’opinion publique, à commencer par nos représentants politiques, était persuadée que les terroristes avaient utilisé le Net, et qu’il fallait donc l’écouter.

Le parlement français décida ainsi de placer l’internet sous surveillance, et de garder la trace de tout ce qu’y font les internautes, ce qu’on appelle la conservation des “logs“, ou “données de connexion“. La Loi sécurité quotidienne (LSQ), adoptée le 15 novembre 2001 et considérée comme anticonstitutionnelle par ses opposants, ne fut, de fait, pas soumise au Conseil Constitutionnel.

Or, comme le releva, en 2002, Sylvie Rozenfeld dans un article de la revue Expertises, un “interprétation stricte (de la loi) aurait pu limiter l’accès à ces données aux seules autorités judiciaires, dans une affaire pénale“. Le gouvernement profita donc de la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2001 pour y introduire un “cavalier parlementaire” (disposition sans rapport avec le projet auquel il se rattache) afin d’y remédier.

Et c’est ainsi que, et sans que les parlementaires n’en débattent vraiment, l’article L621-10 du Code monétaire et financier et l’article L83 du Livre des procédures fiscales furent modifiés afin d’étendre la possibilité, offertes à l’AMF et au fisc, de se voir communiquer les “données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications“, sans que leurs détenteurs puissent “opposer le secret professionnel“.

En 2008, un autre cavalier budgétaire, adopté lors de la loi de finances rectificatives pour 2008, créait l’article L96G du Livre des procédures fiscales, de sorte que “les agents des impôts peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques” (téléphonie et internet), mais également par les hébergeurs de sites web, et autres “personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne“, y compris en WiFi, tels que définis dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique adoptée en 2004.

Ce dernier point est d’importance, parce que la façon quelque peu cavalière (“illégale“, d’après le Canard) avec laquelle le fisc et l’AMF contournent la loi sur les écoutes téléphoniques pourrait bien s’étendre, non seulement aux factures détaillées, mais également aux “données de connexion” conservées par les fournisseurs d’accès à l’internet, et donc aux sites web consultés, requêtes effectuées dans les moteurs de recherche, intitulés, taille, destinataires et horodatages des mails et fichiers envoyés ou reçus

Or, ce n’est pas tant de placer un quidam sur écoutes qui intéresse les enquêteurs que de reconstituer son réseau, ses connexions, ce qui peut donc être effectué sans avoir à passer par un juge, ou les empêcheurs de tourner en rond de la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité.

Ce qui se profile ainsi, c’est que demain, ce ne sera plus seulement la liste des numéros appelés / appelant qui pourra être demandée aux opérateurs de télécommunication, mais bien le détail des mails envoyés / reçus, sites web consultés… sur le modèle du dispositif imaginé par l’Hadopi (“nous avons les preuves que vous n’avez pas sécurisé votre accès, les données de trafic parlent d’elles-mêmes“).

Les pouvoirs publics estiment ainsi qu’il est tout à fait normal, pour eux, d’étendre aux requêtes DNS et logs mails ce qui est toléré pour les FaDet téléphoniques, sur le mode : “ben quoi, vous fournissez les détails de trafic téléphonique, pourquoi vous ne fourniriez pas les détails DNS & mail ? Quoi ? Pourquoi vous nous regardez bizarrement ? On a dit une grosse connerie ?“.

A défaut d’avoir été, texto, tenus, ces propos ont été clairement sous-entendus, au printemps dernier, lors des réunions portant sur le référentiel Internet (conçu pour compléter le référentiel téléphonie issu de l’arrêté de 2006relatif aux réquisitions ayant pour objet la production et la fourniture des données de communication par les opérateurs de communications électroniques“).

D’après nos estimations, plusieurs dizaines de demandes d’accès aux FaDet sont envoyées, chaque jour, aux opérateurs de téléphonie par le fisc et l’AMF. La pratique existerait depuis 20 ans, mais aurait notablement augmenté depuis le cavalier budgétaire de 2008, qui a élargi le “droit de communication“, et donc la possibilité de surveiller nos télécommunications, aux prestataires internet, alors qu’il n’était jusque là réservé qu’aux seuls opérateurs téléphoniques.

En conclusion de son article, le Canard notait que “les agents du fisc vont même pouvoir faire profiter la police de leur accès privilégié aux fadettes” : une équipe d’inspecteurs des Impôts a en effet rejoint la nouvelle Direction générale de la police fiscale, avec pour mission de “fournir une assistance documentaire et analytique” aux services de police nationale et de gendarmerie :

Les contre-espions de la Direction centrale du renseignement intérieur, qui, à la suite des récents articles du Canard, ne peuvent plus consulter librement (et illégalement) les fadettes, savent aujourd’hui auprès de qui s’approvisionner.


Demandes de FaDet faites par le fisc et l’AMF

Illustrations : Row of red telephone boxes, CC Craig S, et puis des couvertures de La petite Fadette, roman de George Sand que l’association de la presse judiciaire a offert à Bernard Squarcini, le directeur de la DCRI, en hommage à la façon qu’a cette dernière de contourner la loi sur les écoutes téléphoniques pour accéder aux FaDet.

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Quand le web se militarise http://owni.fr/2010/10/30/quand-le-web-se-militarise/ http://owni.fr/2010/10/30/quand-le-web-se-militarise/#comments Sat, 30 Oct 2010 12:00:57 +0000 Susan Crawford (traduction Olivier Tesquet) http://owni.fr/?p=34157 Professeur de droit à Yale, Susan Crawford a été la conseillère en innovation de Barack Obama jusqu’en décembre 2009.

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Je crois qu’il faut que quelqu’un se penche sur toutes ces histoires de surveillance d’Internet, stratégiquement placées en Une du New York Times. Il y a ici une piste à suivre. Voici quelques repères chiffrés:

1. Les cyberattaques – Il semble y avoir un profond intérêt pour la capacité à déclarer la guerre en ligne, comme l’ont mis en évidence les recherches en matière de cybersécurité et les discours publics d’Herbert Lin, un acteur clé qui a travaillé sur de nombreux rapports pour le National Research Council. Ethan Zuckerman a synthétisé une présentation de Lin, qui paraphrase ses remarques de la façon suivante:

Si nous voulons préempter les cyberattaques, il faut être dans les réseaux de celui d’en face. Mais cela peut impliquer de s’introduire dans l’ordinateur familial de citoyens américains. Aussi loin que le cloud computing dépasse les frontières, nous attaquons peut-être des ordinateurs dans de multiples juridictions. Lin se demande si un Internet mieux authentifié permettrait d’anticiper les attaques. Et ils nous rappelle que le commandement stratégique américain a émis des autorisations pour mener “des actions de neutralisation des menaces actives” – s’introduire dans une machine pour stopper une attaque en cours, par exemple…

Le Dr Lin note que les actions de renseignement à l’étranger ne violent pas les lois internationales. Il est possible de s’engager dans des actions clandestines réglementées par la législation américaine. Et en réponse à une cyberattaque, les Etats-Unis pourraient lancer une grande variété de ripostes (Lin précise qu’il ne préconise aucun de ces exemples) – ils pourraient attaquer les défenses aériennes de l’ennemi, pirater leurs machines de vote pour influencer une élection, mener des campagnes de “cyberexploitation” pour espionner ces nations. Dans ces conditions, les Etats ne doivent-elles pas craindre les conséquences d’un Internet “libre et ouvert”? Pourraient-ils raisonnablement choisir de renforcer leur contrôle sur le web?

2. Un “Internet mieux authentifié” impliquerait évidemment l’usage de leviers fournis par les opérateurs de télécommunications, pour permettre aux seules machines autorisées, identifiées, de se connecter. La possibilité de déconnecter à distance des machines ou des appareils jusqu’à ce qu’ils soient “nettoyés” est désormais à portée des réseaux fédéraux – et cette capacité va inévitablement s’étendre aux connexions privées.

3. Un “Internet mieux authentifié” signifierait aussi des applications et des machines plus facilement exploitables. C’est ce dont parle le directeur du FBI, Robert Mueller, à 3:29 de cette vidéo.

4. Il doit y avoir beaucoup de stress au sein du gouvernement américain vis-à-vis de la position publique de l’administration sur l’amélioration de la surveillance, sur l’authentification, et sur la capacité à déclarer la guerre en ligne. Le discours d’Hillary Clinton sur la “liberté d’Internet” en janvier 2010 a montré que la libre circulation de l’information sur le web était une composante importante de la diplomatie.

Internet n’est pas le téléphone

5. Eu égard à ce stress, les agences qui sont les plus intéressées par les cyberattaques, la surveillance, l’existence de trappes d’accès dans les communications cryptées et tout l’attirail d’un “Internet mieux authentifié” ont un intérêt à présenter leur vision du web comme un processus inévitable. Logiquement, une partie de cette campagne de persuasion réside dans leur capacité à porter cette version de l’histoire dans les grands médias.

6. Donc, nous y voilà – une nouvelle histoire en première page du Times d’hier, 19 octobre: “L’administration pousse pour renforcer la loi sur les écoutes”. C’est une question extrêmement controversée. La loi devrait-elle forcer l’ensemble des technologies en ligne à disposer de “trappes”, permettant aux autorités de réclamer (pour l’essentiel) que l’information leur soit restituée comme au temps de l’autocommutateur téléphonique privé?

7. Internet est différent du réseau téléphonique. C’est un accord décentralisé qui permet d’acheminer des paquets d’informations à des adresses définies. Il a rendu possible une innovation sans précédent, il a aidé la liberté d’expression et l’amélioration de vies humaines autour du monde. Le brider pour l’adapter aux besoins “d’authentification” d’une loi d’application (ou de la sécurité nationale) serait un énorme pas en arrière.

Mais cela nous aiderait sûrement à faire la guerre en ligne.

Ce billet a initialement été publié sur le blog de Susan Crawford

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Crédits photo: Flickr CC jurvetson, randy.troppmann

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Les journalistes italiens se mobilisent contre la “loi-baillon” de Berlusconi http://owni.fr/2010/07/01/les-journalistes-italiens-se-mobilisent-contre-la-loi-baillon-de-berlusconi/ http://owni.fr/2010/07/01/les-journalistes-italiens-se-mobilisent-contre-la-loi-baillon-de-berlusconi/#comments Thu, 01 Jul 2010 19:01:31 +0000 Federica Cocco http://owni.fr/?p=20949 Un jour de février comme les autres, à 13h00. Le moment du repas de midi pour de nombreux foyers. Ariana Ciccone, elle, n’arrive pas à avaler ce qui deviendra la dernière goutte de la longue saga de la désinformation sur la télévision publique italienne. Cette saga connaît son apogée aujourd’hui, alors que des milliers de citoyens et de journalistes descendent dans la rue pour proclamer le droit de savoir ce qu’il se passe dans la coulisse de l’élite italienne au pouvoir.

Au journal de la Rai Uno, chaîne détenue par l’Etat, le présentateur annonce que le Premier ministre italien a été “absous” dans le procès de David Mills, le mari d’une ancienne ministre anglaise, Tessa Jowell, accusé d’avoir accepté un pot-de-vin du Cavaliere.

La controverse n’est pas directement venue du fait que Berlusconi n’ait pas été déclaré coupable. Le procès a en effet été bloqué par un texte législatif taillé sur mesure, puisqu’il instaure un “empêchement légitime” pour le chef du gouvernement italien à assister aux deux procès dont il fait l’objet. Ce texte est l’aboutissement d’une longue campagne visant à réformer le système judiciaire italien, qui consiste à l’inculpation du corrompu en lieu et place du corrupteur.

La dernière étape était de s’assurer que l’opinion publique serait amenée dans la bonne direction.

A ce moment précis, Augusto Minzolini (directeur du principal programme d’information de la Rai), est devenu la cible d’Arianna. Il incarnait en effet tout ce qui pose problème tant dans le journalisme que dans l’information en Italie.

C’est ainsi que s’est créé le groupe Facebook: “Dignité et Respect pour les citoyens”. Ce groupe rassemble aujourd’hui  150 000 signataires qui appellent à la rectification de la manière dont le procès de Berlusconi a été couvert.

Aujourd’hui 1er juillet, les citoyens italiens alliés à Valigia Blu ont défilé dans les rues (réelles et virtuelles), afin de protester contre une nouvelle loi, appelée “loi Alfano” ou “loi bâillon”, une loi anti-écoutes téléphoniques déjà approuvée par le Sénat le 12 juin. Les peines prévues pour ceux qui l’enfreindraient sont sévères: des amendes allant jusqu’à 450.000 € et jusqu’à un mois de prison pour les journalistes.

Ce dispositif a été mis en place pour interdire les fuites de conversations téléphoniques ou enregistrées secrètement au cours d’enquêtes criminelles dans les médias traditionnels autant que sur Internet. Ce projet de loi devrait être approuvé par la chambre des députés.

Une manifestation contre Berlusconi, Place du Peuple, à Rome

Plusieurs conversations de cet ordre ont conduit à des désillusions majeures pour le premier ministre et ses apparatchiks.

La manifesation, soutenue par le principal parti d’opposition, le parti démocrate, est suivie de près par plusieurs sites Internet, dont Diritto di Critica.

Arianna n’a pas d’appartenance politique. Elle est l’une des organisatrices principales du Festival International du Journalisme de Pérouse, et est devenue au fil du temps une figure-clé du mouvement. Elle a pris le temps d’expliquer à OWNI les raisons profondes qui soutiennent le mouvement.

Chaque citoyen devrait se révolter contre une loi qui entrave les magistrats et bâillonne l’information

“Chaque citoyen devrait se révolter contre une loi qui entrave les magistrats et bâillonne l’information”, décrypte Arianna en soulignant le manque d’intérêt politique accordé à ce type d’activisme. “J’ai été motivée par le droit de savoir et la liberté de la presse. Dans un pays entaché par les conflits d’intérêt dans lesquels notre premier ministre est impliqué, nous agissons en tant que chiens de garde. Pas seulement pour l’information, mais également en ce qui concerne les services publics, qui sont en ce moment entre les mains de divers partis politiques“, ajoute-t-elle.

“Je ne vois pas Valigia Blu comme un mouvement organisé. Ou même comme un mouvement en soi. Il a grandit grâce aux réseaux sociaux comme Facebook. Notre groupe “Dignité et respect” compte plus de 15.000 membres, la page rassemble 16.000 fans, et le site en lui même compte pus de 2000 abonnés. Nous sommes simplement des citoyens engagés”.

Les opposants aux mises sur écoute arguent du fait que le procédé prive des individus de leur droit à la vie privée: “Quand cela touche des personnages publics, on devrait tout savoir à leur sujet. Il est bien sûr nécessaire de protéger les innocents impliqués dans ces conversations enregistrées, notamment par le biais d’extraits. La défense et le procureur peuvent décider, en accord avec un juge indépendant, des extraits qui ne devraient pas être publiés. La vie privée est plus souvent qu’il ne le faudrait utilisée comme un excuse. Ce projet de loi est pensé pour protéger la classe dirigeante et ses pratiques véreuses, sans oublier le fait qu’il priverait les magistrats d’un outil d’investigation fondamental dans la lutte contre le crime organisé”.

Un courant parallèle a émergé au sein de Valigia Blu. Si la loi passe, ses membres promettent de ne pas la respecter. “Arrestateci tutti“, disent-ils…

Arrêtez-nous tous

Retrouvez l’article en anglais ici

Interview réalisée par Adriano Farano, traduction Guillaume Ledit

Credit photos: CC FlickR lo spacciatore di lenti


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